samedi 20 avril 2013

ENSEIGNER LA PHYSIQUE (1), Approche historique au collège et au lycée




INTRODUCTION

Au cours de ce siècle, de nombreux changements et diverses réformes ont marqué l'enseignement des sciences physiques. Pourtant, maints problèmes abondent encore aujourd'hui. De nombreuses plaintes s'élèvent, venant des élèves, des familles, autant que des enseignants. Périodiquement, des récriminations, des publications, des colloques même, dénoncent l’insupportable : l'excès récurrent de formalisation et d'abstraction de la physique dans les lycées,  voire les collèges[i]. Cet aspect, pourtant considéré comme inséparable de l'enseignement de la physique, prendrait une dimension envahissante, occultant son caractère expérimental, celui‑là même devant fonder la discipline. Que n'a‑t‑on parié sur cet enseignement devenu impossible ?

D'où l'idée d'interroger l'histoire pour comprendre, non pas l'abstraction inhérente à la définition même de la physique — d'autres s'y sont employés — mais pour saisir l'origine de ce qui, dans son enseignement, dévie vers un excès de formules ou équations mathématiques. Car le problème est bien celui de la place de l'approche expérimentale des phénomènes et de celle des expériences concrètes au regard de leur étude mathématique : quid de l’étude qualitative de la physique ? Et finalement d'appréhender ce qui devrait faire sens dans cet enseignement.
Chaque science relève en réalité d'une construction historique. La dénomination "sciences physiques", très courante aujourd'hui, constitue pourtant  un sujet permanent de perplexité pour la plupart des élèves. Car le terme Physique exprime une science ancienne, assez bien circonscrite à l'étude des phénomènes de la nature. Quel besoin d'adjoindre le terme science à celui de physique ? Quel supplément de signification apporte ce pluriel dans la locution "sciences physiques" ? Y aurait‑il "des physiques" ? Sinon, pourquoi évoquer plusieurs "sciences" ?
L'histoire nous apprend que sous ce vocable se cachent en fait deux sciences, la physique et la chimie, toutes deux enseignées par le même professeur dans l'enseignement public dès la Révolution française. Or qu'y a‑t‑il de commun pour un élève entre, d'une part, la destruction et la combinaison des corps spécifiques à la chimie et d’autre part, l’étude physique des phénomènes naturels et des propriétés générales communes à tous les corps ? 
Nous devons nous souvenir que l'existence de la chimie telle que nous la concevons aujourd'hui, est apparue sous la Révolution, sur les ruines de l'ancienne chimie (alchimie) du Moyen âge, avec l'élimination du concept de phlogistique par Lavoisier et ses collaborateurs. Pour les savants de la fin du XVIIIe siècle, la théorie chimique s'inscrit alors dans une visée newtonienne, où des forces agissent intérieurement à la matière, faisant pendant, au niveau microscopique, aux orces macroscopiques qui règlent les mouvements de l'univers : la physique Laplacienne et sa notion centrale de force comme explication finale, règne à la fois sur la physique et à la chimie. Les deux sciences sont ainsi reliées par la notion commune de force, d'où l'idée d'une chimie comme branche particulière de la physique. Elles ne bénéficient cependant pas toutes deux d'une égalité de considération. Pendant les vingt dernières années du XVIIIe siècle, la popularité de la chimie nouvelle est immense  ; la physique et la chimie — dans les écoles centrales[ii] alors instituées sous la Révolution française — sont chacune dénommées distinctement l'une de l'autre. Chacune trouve sa place à travers sa dénomination.  Pourtant dès le début du XIXe siècle, avec la création des lycées en 1802, la chimie s'efface devant la Physique qui fait alors, dans l'enseignement, figure d'archétype de la science expérimentale. Issue du terme grec "Physis", qui signifie la nature, la Physique est l'une des plus anciennes sciences, révérée comme connaissance fondamentale liée à celle des faits de nature et déjà enseignée sous la Renaissance comme philosophie naturelle. Cette matière d'enseignement est alors spécialement destinée aux futurs théologiens ou médecins. Il n'est donc pas étonnant que, du fait de son antériorité et de son importance, sa prédominance puisse l'emporter une fois retombé le prestige de la nouvelle chimie. D'où la réunion des deux sciences dans le pluriel "sciences" auquel on adjoint le qualificatif mis au pluriel — physiques — faisant référence à la seule physique ancienne et rappelant ainsi l'existence de deux branches dans l'étude de la nature.
Dans les lycées du début du XIXe siècle, la physique et la chimie sont donc enseignées conjointement par un professeur nommé "professeur de sciences physiques" — nom que nous gardons encore aujourd'hui. —marquant ainsi la supériorité historique de la physique. Leur enseignement dans le cursus classique des lycées et collèges royaux[iii], relève alors d’une formation scientifique largement minoritaire car dominée par celui, hégémonique, des humanités sur toute cette période, comme le rappelle André de Peretti : "Tout au long du XIXe siècle, les programmes scolaires ont reflété la lutte incessante entre les partisans d'un enseignement "humaniste" classique et ceux d'une éducation scientifique"[iv]. Or, si la physique comme la chimie, étudient la nature, leur différence repose alors principalement, sur l’approche formelle et mathématique qui, encore aujourd'hui, caractérise la physique, et lui confère par-là même, son ascendant sur la chimie. Car, ce sont bien les mathématiques — hier et aujourd'hui, considérées comme matière d'excellence scientifique — qui, par leur "domination reposant sur une démarche essentiellement déductive, font un tort considérable à l'ensemble des sciences (expérimentales)"[v]. Si aujourd'hui, dans les lycées, la suprématie des humanités a cédé la place aux mathématiques considérées comme discipline formatrice d'esprit à l'instar du latin au XIXe siècle, la question de la place et du rôle de la physique est toujours en suspend. On se prend à s'interroger : quelle place attribuer à la mathématisation dans l’enseignement de la physique ? Quel sens accorder à l'expérience caractéristique de son enseignement ? Pourquoi des travaux pratiques introduits seulement en 1902, exactement un siècle après la création des lycées  ?

Ces questions à l'enseignement de la physique renvoient à nombre de reproches qui ne peuvent plus, aujourd'hui, être laissés de côté. Les griefs qui reviennent régulièrement sont ceux de l'expérience, du formalisme et de l'abstraction, comme en témoigne un sondage d'enseignants et d'élèves paru dans le numéro hors série de la revue Science et Vie, en septembre 1992 (n°180). On constate en effet, que la suprématie des mathématiques est dénoncée, même par les professeurs : “Les épreuves du bac C sont mathématisées à outrance. La résolution de problèmes de physique ? Rien que des maths appliquées! L’enseignement des sciences expérimentales a vraiment été calqué sur celui des maths. Voilà le réflexe des profs — enfin, de certains. Ils rejettent l’approche expérimentale pour partir d’un modèle, mathématisé si possible, et considéré comme un dogme. Si l’expérience viole le modèle, c’est elle qui a tort, pas le modèle. C’est oublier la démarche historique, car, enfin, on ne construit pas un modèle comme ça, en claquant les doigts.”[vi] Quant aux lycéens, leur avis est catégorique : “La physique c’est le stress mortel” pour Arnaud (16 ans)[vii] ; "Je suis carrément allergique", ajoute Séverin (15 ans)[viii]. Les raisons les plus souvent invoquées sont l'aspect formel au détriment du bon sens quotidien : "Tout ce qu'on fait en cours c'est abstrait […] au lieu d'une démonstration, on a juste un théorème à apprendre ! Comment voulez-vous que ça rentre ?"… " Les profs ne prennent pas d'exemples, ou alors, pas les bons… Si on partait de phénomènes de la vie courante, on comprendrait plus facilement. Par exemple en physique, pour les quantités de mouvement et les trajectoires, on pourrait prendre un accident de voiture, ça serait quand même plus concret…"[ix] Le caractère abstrait de la physique apparaît aussi dans les objets d'étude : " Les profs nous bassinent avec les protons, les neutrons, les électrons et tout. Mais qu'est­­‑ce que c'est vraiment l'électricité ? Je n'en sais rien…"[x] Finalement, la physique apparaît comme quelque chose de compliqué et d'autant plus hermétique qu'elle s'appuie sur les fameuses formules : "Il y en a tellement que ça se mélange !…[il faut] se les mettre dans le crâne…[il faut] trouver la bonne au bon moment", et pour l'élève, le vrai problème c'est "qu'on gratte du papier, on fait des calculs, on applique des machins, mais on ne voit pas très bien à quoi ça peut être utile"[xi]. La perte de sens est manifeste, et finalement, tout se passe comme si une déviation intervenait, qui, de l'expérience caractéristique en physique, parvenait à un cours de mathématiques appliquées, comme le déplorent certains professeurs de collège en parlant des cours de leurs collègues de lycées : "la physique et la chimie sont des sciences expérimentales enseignées de façon théorique"[xii]. L'expérience introductive, démonstrative ou autre est, la plupart du temps, même en classe de 1ère S, réduite à des schémas au tableau : "La prof écrit le titre au tableau, puis elle dicte ce qu'il faut savoir", les élèves prennent des notes "et puis c'est tout", parfois les enseignants donnent des photocopies tandis que d'autres travaillent "à partir de schémas des bouquins", "ce qui n'est pas très parlant"[xiii]. De la seconde à la terminale, on invoque le temps pour expliquer la part réduite de l'aspect expérimental : "Au bac D, on est censé décrire une expérience. Le problème, c'est qu'on a pas le temps de les réaliser en classe. Alors on regarde sur le livre, la prof nous raconte comment ça se passe. On les fait à l'écrit, quoi…", "On ne peut pas se permettre de faire des expériences à chaque fois"[xiv]. Pourtant, des travaux pratiques sont théoriquement prévus à raison d'une heure et demi par semaine, "mais en réalité, on n'en fait quasiment jamais, on n'a qu'une heure par mois"[xv]. Toutes ces protestations rejoignent ainsi la question cruciale des rapports entre mathématisation et expérimentation en physique, dualité qui pose à l'enseignement, un véritable problème au niveau des lycées.

La question ne peut être résolue frontalement. Avant d'essayer de la traiter, il convient de s'interroger sur l'origine même de cette dualité spécifique à la physique. Et pour cela, faire l'analyse historique des rapports mutuels qu'ont entretenus les phénomènes naturels avec, d'une part, les formes mathématiques nécessaires (les lois auxquelles ils semblent obéir, d'autre part, avec la naissance des concepts et l'étude expérimentale de la nature. Comment l'idée de nature régie par des lois a‑t‑elle surgi dans notre civilisation ? Comment l'étude de la causalité a-t-elle été menée ?

Chapitre 1. - Position du problème : expérience et formalisme, dualité de la physique 

I. Histoire de la formation de la pratique scientifique

Les tous premiers débuts de la physique sont étrangers à l'idée d'une nature régie par des lois. Cette conception n'apparaît en Europe que vers les XVIe et XVIIe siècles, avec la naissance de la physique mathématique.

1. La physique d'Aristote : un système pour une nature non mathématisable

En tant que l'un des philosophes préoccupés de l'étude de la nature, Aristote (384 - 322 av J.-C.) établit le premier une philosophie de la nature : la Physique. Il affirme, dès le livre II, la distinction entre mathématiques et physique : "Il convient d'examiner par quoi le mathématicien se distingue du physicien". Son argumentation est la suivante : "appartiennent aux corps physiques les surfaces, solides, grandeurs et points qui sont l'objet des études mathématiques. En outre, l'astronomie est autre chose que la physique ou n'est-elle pas plutôt partie de la physique : il serait absurde, en effet, qu'il appartînt au physicien de connaître l'essence du soleil et de la lune, et non aucun de leurs attributs essentiels, d'autant qu'en fait les physiciens parlent de la figure de la lune et du soleil, se demandant si le monde et la terre sont sphériques ou non. Ce qu'il faut dire, c'est donc que ces attributs sont aussi l'objet des spéculations du mathématicien, mais non en tant qu'ils sont chacun la limite d'un corps naturel ; et, s'il étudie les attributs, ce n'est pas en tant qu'ils sont attributs de telles substances. C'est pourquoi, encore, il les sépare"[xvi]. Aristote sépare donc l'étude mathématique de l'étude physique à propos du même objet ou phénomène. La matière de l'objet est ce qui concerne la physique, alors que les formes géométriques et les grandeurs relèvent des mathématiques. S'il fait intervenir le nombre — objet mathématique — c'est pour caractériser le temps — objet d'étude du physicien — qu'il associe au mouvement : "C'est en percevant le mouvement que nous percevons le temps… nous connaissons le temps quand nous avons déterminé le mouvement en utilisant, pour cette détermination, l'antérieur-postérieur ; et nous disons que du temps s'est passé quand nous prenons la sensation de l'antérieur-postérieur dans le mouvement… quand nous percevons l'antérieur et le postérieur, alors nous disons qu'il y a temps ; voici en effet ce qu'est le temps : le nombre du mouvement selon l'antérieur‑postérieur"[xvii]. La confusion entre objets physiques et objets mathématiques est néanmoins levée : "Le temps n'est donc pas mouvement mais n'est qu'en tant que le mouvement comporte un nombre. La preuve c'est que le nombre nous permet de distinguer le plus et le moins, et le temps, le plus et le moins de mouvement ; le temps est donc une espèce de nombre. Mais nombre s'entend de deux façons : il y a en effet, le nombre comme nombre et nombrable, et le nombre comme moyen de nombrer. Or, le temps, c'est le nombré, non le moyen de nombrer. Or le moyen de nombrer et la chose nombrée sont distincts"[xviii]. Ainsi, le temps et la mesure du temps sont deux concepts différents, le premier appartenant au monde de la physique, le second à celui des mathématiques. Le nombre relève ici seulement de la mesure.
Cette séparation de la physique et des mathématiques n'est pas une simple question de statut du nombre comme mesure. Car pour Aristote, l'ordre du monde aristotélicien ne peut être régi par des considérations mathématiques du fait de sa nature statique, soumise à quelques principes élémentaires. Selon son système, tout mouvement requiert une cause qui, à elle seule, l'explique : ou bien cette cause est intrinsèque à l'objet en cas de mouvement naturel (il est lourd : il tombe, il est léger : il s'élève), ou, pour les mouvements dits violents, la cause est externe, donc connue. Dans cette vision du monde terrestre, l'état naturel des corps est le repos, et cela ne nécessite aucune explication. Le monde aristotélicien est statique, donc non mathématisable par nature[xix]. La question des règles auxquelles obéit le mouvement est hors de question puisque la vision aristotélicienne du monde est une représentation hiérarchisée de l'univers : le ciel, monde supérieur, est le lieu de l'éternel donc de la perfection mathématique qui régit les mouvements célestes ; la terre est un monde orienté selon six directions naturelles — le haut et le bas, la droite et la gauche, l'avant et l'arrière — selon lesquelles changent les corps et les phénomènes soumis à des modifications incessantes, par essence imparfaits donc étrangers aux mathématiques.
Ainsi se représente‑t‑on le monde en Europe pendant une vingtaine de siècles, du 4ème siècle avant J. C. jusqu'à la Renaissance. Au tournant des XVIe et XVIIe siècles, un changement de point de vue apparaît qui entrevoit les débuts de la mathématisation de la nature avec des travaux scientifiques sur la vision.

2. Képler et la vision : une première mathématisation de la nature

Voir est une action quotidienne qui nécessite la présence de lumière, phénomène encore mal connu dont les premières conceptions remontent aux explications pythagoriciennes (VIe siècle av J.C.) et euclidiennes (IVe et IIIe siècle av. J. C.). Jusqu'alors, on considère que la vision se fait au moyen de rayons visuels émis par l'œil et se dirigeant vers les objets. Par contre, Aristote prétend que la traversée des substances transparentes par la lumière n'est due qu'à un état des substances :  la lumière ne constitue pas une entité physique indépendante des corps, mais caractérise l'état du corps qui présente alors, une certaine disposition. On est là dans l'approche statique du monde terrestre qu'il défend.
Au XVIIe siècle, l'astronome allemand, Képler (1571 - 1630) change pour la première fois la manière de penser[xx] : il définit la lumière comme une espèce immatérielle, indépendante, qui sort d'une source et qui est reçue dans l'œil. Ses travaux sur la chambre noire et les lentilles l'amènent à présenter l'optique comme une science autonome dont les objets — les rayons lumineux, les images réelles et virtuelles — permettent de comprendre le fonctionnement des lentilles et de répondre aux questions d'intensité lumineuse, tout ceci en utilisant la géométrie et l'arithmétique. Ainsi sépare‑t‑il l'existence du phénomène naturel de sa compréhension en mathématisant ainsi, pour la première fois, un phénomène physique : pour lui, la lumière n'est pas une "magie naturelle" et elle obéit à des lois mathématiques[xxi]. Il prend pour le dire, certaines précautions : "La manière dont se fait la vision n'a jusqu'ici jamais été pleinement comprise par personne. Ainsi je prie les Mathématiciens d'y prêter la plus grande attention afin que quelque certitude touchant cette fonction, la plus noble qui soit, se fasse enfin jour dans la Philosophie"[xxii]. Assimilant l'œil au dispositif de la chambre noire, Képler explique que la construction de l'image est inversée par croisement des rayons et qu'elle se forme sur la rétine, contrairement à l'idée antérieure de l'émanation. L'optique constitue de fait, le premier domaine mathématisé de la nature : par le recours aux mathématiques dans les explications du monde naturel, Képler annonce par là, les positions futures de Descartes (1596 - 1650) qui,  vingt ans plus tard, continue l'étude de l'optique géométrique et établit irrévocablement que la perception visuelle ne se réduit pas à une simple sensation, mais à un processus complexe gouverné par la géométrie et par le mouvement[xxiii].

3. Galilée et la naissance de la physique mathématique

A peu près en même temps que Képler, Galilée, savant italien (1564 ‑1642), opère une révolution de même ampleur en géométrisant la chute des corps (alors nommée la chute des graves). La notoriété de ce savant est telle que l'histoire l'a retenu comme le fondateur de la physique mathématique. Ses études sur le mouvement fondent une approche radicalement différente de celle d'Aristote, auquel il s'oppose.
Dans la physique aristotélicienne, le mouvement d'un lieu dans un autre — phénomène observé et bien connu déjà à cette époque — est le signe d'un déséquilibre, d'une privation, d'une tension provisoire vers le repos, position naturelle. Le mouvement marque toujours un désordre — phénomène non parfait, donc, non mathématisable — tandis que le repos, lui, n'a pas besoin d'explication (mathématique).
Galilée s'oppose à Aristote en postulant que l'ordre de la nature est, au contraire, un ordre intrinsèquement mathématique. Selon un passage de Il saggiatore, "la philosophie [c'est‑à‑dire la physique] est écrite dans cet immense livre qui se tient toujours ouvert devant nos yeux, je veux dire l'Univers, mais on ne peut le comprendre si l'on ne s'applique pas d'abord à en comprendre la langue et à connaître les caractères avec lesquels il est écrit. Il est écrit dans la langue mathématique et ses caractères sont des triangles, des cercles et autres figures géométriques, sans le moyen desquels il est humainement impossible d'en comprendre un mot"[xxiv].
Il s'en suit que la mathématisation a une portée générale, et qu'elle n'est plus restreinte, comme le croyait Aristote, aux mouvement circulaires uniformes des objets célestes dont les seuls mouvements étaient considérés comme mathématisables. Pour Galilée, les mathématiques prennent  la place de la logique des argumentations aristotéliciennes. Elles s'imposent comme la méthode de recherche de la physique : "Je me vois déjà rabroué par mes adversaires et je les entends me crier dans les oreilles qu'une chose est de traiter la nature en physicien et autre chose en mathématicien, que les géomètres doivent demeurer dans leurs songeries et ne pas se mêler des sujets philosophiques où la vérité est fort différente de la vérité mathématique, comme si la vérité n'était pas une. Comme si la géométrie, à notre époque, pouvait porter préjudice au développement de la vraie philosophie. Comme s'il était impossible d'être philosophe et géomètre, comme si celui qui sait la géométrie ne pouvait savoir la physique ni raisonner en physicien des problèmes de physique."[xxv].
Galilée applique ce changement de position théorique à l'étude du mouvement  uniformément accéléré — celui de la chute des corps — dans la IIIe journée des Discours[xxvi]. A l'explication du "pourquoi" du mouvement, il oppose la description mathématique du "comment" l'objet tombe. L'utilisation de diagrammes avec triangles géométriques sert à mettre en évidence — par leur aire — le chemin parcouru sur un plan incliné : il transforme les instants du temps et les degrés de vitesse d'un mobile en grandeurs strictement géométriques, sans, pour cela, introduire les formules mathématiques actuelles du mouvement uniformément accéléré. Il procède ainsi à une véritable abstraction : en "faisant un dessin",  il invente la cinématique moderne. En somme, Galilée, relègue la question de la cause du mouvement chère à Aristote, et donne une interprétation géométrique aux grandeurs physiques fondamentales du mouvement en travaillant sur un mouvement idéal, sans frottement. D'où, son insistance : "J'accorde que les conclusions établies dans l'abstrait se modifient dans la réalité…[…]. Si on veut traiter scientifiquement ce problème [du mouvement], il convient d'en faire abstraction et, après avoir découvert et démontré les lois en supprimant toute résistance, de les compléter, au moment de les utiliser concrètement, par ces limitations que l'expérience nous enseigne"[xxvii]. En quelque sorte, Galilée part de l'idée que le mouvement d'un corps en chute libre doit être décrit par une forme mathématique qu'il faut rechercher à l'aide de la géométrie.  C'est ce mouvement idéal qui représente le phénomène, celui-là même qui s'effectuerait sans perturbations [sans frottements] et qu'il faut apercevoir dans le déplacement d'un corps en train de tomber.
Cette deuxième façon de concevoir la mathématisation de la nature appelle trois niveaux d'abstraction qui demeureront des points sensibles des enseignements scientifiques : 1° Abstraction de la cause du mouvement qui cède la place au comment se fait le mouvement : "L'occasion ne semble pas favorable pour rechercher la cause de l'accélération du mouvement naturel…[le but étant de]… découvrir et démontrer quelques propriétés d'un mouvement accéléré [quelle que soit la cause de son accélération], où la grandeur de la vitesse croît le plus simplement possible en proportion même du temps"[xxviii]. A l'explication de l'origine du mouvement, Galilée substitue la description mathématique.
  2° Abstraction des conditions particulières et sensibles de l'expérience, en la supposant faite dans le vide. En négligeant les frottements, Galilée effectue le passage à la limite du mouvement, considérant que pour lui, dans le vide, tous les corps tombent également vite — alors que Newton n'a pas encore énoncé de principe — et qu'une péripétie locale [le frottement différent selon les corps différemment lourds] explique les écarts de vitesse observés dans les expériences ordinaires : "Si nous prenons comme principe que tous les corps tomberaient également vite dans un milieu où ne se manifesterait aucune résistance à la vitesse du mouvement […], nous serons en mesure de déterminer correctement les proportions des vitesses de mobiles semblables ou dissemblables soit dans le même milieu, soit dans différents milieux pleins, et pour cela résistants"[xxix]. L'expérience concrète représente avec maladresse, une expérience idéale qui s'en trouve dévoilée. En quelque sorte, en s'opposant à l'expérience sensible au nom d'un vide irréalisable, Galilée transcende les résultats obtenus, leur donnant un statut de loi de la nature
      3° La dernière abstraction est celle de l'utilisation de diagramme géométrique, représentatif des grandeurs de la chute libre. Vitesses et temps de chute sont représentés par des segments de coordonnées, dont résulte une combinaison en triangles représentatifs de l'espace parcouru. Par le recours à la géométrie, il énonce ainsi la loi de la chute libre dont les espaces parcourus sont proportionnels aux carrés des temps de chute, loi aujourd'hui admise dans la physique classique.
On retiendra dans cette démarche, que l'aspect sensible des expériences est gommé au profit d'une abstraction constitutive de la loi recherchée. Cette façon de procéder met l'accent sur la capacité à minimiser les détails concrets et parfois gênants de l'expérience vécue, pour ne retenir que l'idéal à atteindre : cette agilité intellectuelle relève d'une formation d'esprit que le novice ne possède pas forcément au départ et qui, on le comprendra facilement, constitue un obstacle de taille à l'enseignement de la physique. Pour Galilée, l'affirmation selon laquelle l'homme doit rechercher la géométrie dans le fonctionnement de la nature est une position acquise du fait de ses recherches antérieures. C'est d'ailleurs dans cette direction qu'il établira plus tard, la loi de l'isochronisme des oscillations du pendule simple. La situation n'est pourtant pas toujours aussi simple, et peut même causer des erreurs d'appréciation. L'exemple de Galilée et du pendule est à cet égard parlant : ayant le souci de négliger les données immédiates, Galilée est conduit à généraliser ses résultats à tout pendule, alors qu'un pendule aux oscillations de grande amplitude échappe à cette loi. L'isochronisme des oscillations ne vaut que pour les petites oscillations. D'ailleurs Huyghens établira après lui, un véritable pendule isochrone dont le déplacement est cycloïdal, et non circulaire. La question de l'abstraction mathématique requiert des compétences de rigueur et de précision dont l'enseignement doit tenir compte.
  La mathématisation de la nature, ainsi définie — parfois excessivement — par Galilée, bien qu'encore inachevée, annonce la mise en place de la formalisationnewtonienne conduisant à la Dynamique.
De ces deux approches, celle de Képler suivant laquelle l'homme voit selon la géométrie, et de Galilée qui affirme que dans le mouvement, l'homme doit voir sa géométrie, on retiendra le souci d'expliquer le monde par le recours à la géométrie.




4. L'invention de la science moderne : l'expérimentation

 Cette mathématisation de la physique, bien qu'incomplète, va durer jusqu'au XXe siècle. Elle constitue l'un des aspects majeurs de l'enseignement de la physique. Ce n'est pourtant pas le seul. Car l'expérience quotidienne qui s'offre à nous, est loin de présenter un aspect mathématique immédiatement décelable. Il faut prendre du recul et de la distance, l'abstraction est nécessaire : ce détour, s'il n'est pas effectué, rend complètement opaque l'appréhension des faits de nature. La seule sensation devient alors l'unique recours. C'est pourquoi, pendant de nombreuses années la nature apparaît comme hermétique, incompréhensible, comme le regrette Roberval (1602 - 1675) : "La Physique est toute véritable ; mis elle est fort cachée ; elle ne se découvre aux hommes que par la vertu de ses effets"[xxx].
D'où l'apparition d'une science moderne caractérisée par l'invention de l'expérimentation dont Pascal en France et Boyle en Angleterre, sont parmi les initiateurs les plus illustres : "Les secrets de la nature sont cachés ; le temps les révèle d'âge en âge, et quoique toujours égale en elle‑même, elle n'est pas toujours également connue…[…] Les expériences qui nous en donnent l'intelligence multiplient continuellement ; et comme elles sont les seuls principes de la physique, les connaissances multiplient à proportion"[xxxi] tel est l'état de la pensée scientifique au milieu du XVIIe siècle. On reconnaît l'idée que l'expérience est une façon d'interroger la nature, et que sa multiplication est une méthode pour mieux la comprendre. L'exemple à propos duquel Pascal va mettre en œuvre sa démarche de pensée, concerne le problème des Fontainiers de Florence, auquel Torricelli avait déjà travaillé. Il s'agissait de comprendre l'arrêt à une certaine hauteur, de la montée de l'eau pompée, problème qui mettait en échec l'explication fournie pour l'ascension de l'eau et selon laquelle "la nature a horreur du vide". Torricelli ayant transposé le problème en utilisant du mercure dans un tube renversé sur une cuve, avait émis l'hypothèse contradictoire de l'existence du vide dans le haut du tube, laissé par la descente du mercure.
Pascal entreprend une étude systématique de ce problème, menant une expérimentation ayant depuis, valeur d'exemple : "Je me contente, de montrer un grand espace vide et laisse à des personnes savantes et curieuses à éprouver ce qui se fait dans un tel espace". Pour la première fois, le savant montre ostensiblement à des observateurs soigneusement choisis, des faits d'expérience qui doivent prendre sens. C'est La grande expérience de l'équilibre des liqueurs faite au Puy-de-Dôme et publiée en 1648, où il démontre que le phénomène se reproduit toujours de la même façon et que le vide existe. Il reproduit l'expérience de Torricelli à différents moments et différentes altitudes et multiplie les relevés :"…parce que les effets de cette dernière expérience des deux tuyaux (l'expérience de Torricelli) qui s'expliquent si naturellement par la seule pression et pesanteur de l'air, peuvent encore être expliqués assez probablement par l'horreur du vide, je me tiens dans cette ancienne maxime : résolu néanmoins de chercher l'éclaircissement entier de cette difficulté par une expérience décisive. J'en ai imaginé une qui pourra seule suffire pour nous donner la lumière que nous cherchons, si elle peut être exécutée avec justesse. C'est de faire l'expérience ordinaire du vide plusieurs  fois en même jour, dans un même tuyau, avec le même vif-argent[xxxii], tantôt au bas et tantôt au sommet d'une montagne, élevée pour le moins de cinq ou six cents toises[xxxiii] pour éprouver si la hauteur du vif-argent suspendu dans le tuyau se trouvera pareille ou différente dans ces deux situations. Vous voyez déjà, sans doute, que cette expérience est décisive de la question que, s'il arrive que la hauteur du vif-argent soit moindre au haut qu'au bas de la montagne (comme j'ai beaucoup de raisons de le croire, quoique tous ceux qui ont médité sur cette matière soient contraires à ce sentiment), il s'ensuivra nécessairement que la pesanteur et pression de l'air est la seule cause de cette suspension du vif-argent, et non pas l'horreur du vide, puisqu'il est bien certain qu'il y a beaucoup plus d'air qui pèse sur le pied de la montagne, que non pas sur son sommet, au lieu qu'on ne saurait dire que la nature abhorre le vide au pied de la montagne plus que sur son sommet"[xxxiv]. Pour cela, il réunit les conditions déjà posées par Képler et Galilée : avoir de bons instruments (des tubes de verre très longs spécialement construits pour lui), de bons témoins (son beau-frère, Périer, conseiller de la Cour des aides ; des ecclésiastiques et des séculiers (un docteur en médecine et d'autres conseillers de la Cour des aides), publie un compte-rendu objectif de ses observations, expose la théorie du phénomène. Il fonde à cette occasion, l'hydrostatique moderne avec Les Traités de l'équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse de l'air.
Un nouveau style expérimental de recherche sur la nature est né, avec des étapes désormais consacrées : isolation d'un phénomène pertinent pour la question posée, détermination des paramètres significatifs, analyse de la variation de ces paramètres lors d'une reproduction devant des personnes choisies, discours rhétorique aussi objectif que possible, assurant de la non-subjectivité de l'expérience. Autant de contraintes qui font de l'expérience une reconstruction savante prétendument naturelle et indiscutable de ce qui, sans elle, ne serait qu'une évidence sans visibilité, une nature opaque et hermétique. C'est ce style expérimental qui, avec Robert Boyle, au cours du XVIIe siècle, en Angleterre, devient emblématique de la philosophie naturelle : nouvelle physique de celui qui se consacre à l'étude de la nature, et officie au cours d'expériences, à la façon d'un prêtre de la nature.
D'où les caractéristiques de l'activité scientifique qui vont dominer toute la recherche du XIXe siècle. D'abord, importance première de l'expérience, assortie de son exactitude et de sa répétabilité, nécessité d'une méthode dite expérimentale, relégation de tout subjectivisme, présentation expérimentale devant un groupe. Ces traits caractéristiques de l'activité scientifique sont ceux qui prévalent encore aujourd'hui dans certains enseignements Mais se limiter strictement à cette démarche laisse de côté divers aspects qui prennent alors l'allure de biais pouvant fausser l'idée que l'on peut se faire d'une démarche en science expérimentale :  par exemple, les choix arbitraires et artificiels de l'espace expérimental sont souvent omis, ainsi que  les faits d'histoire où les passions sont gommées au profit de l'image désintéressée d'un savant curieux ; l'idée d'une recherche au déroulement linéaire est souvent renforcée par une présentation toujours irréfutable, comme si l'échec n'était jamais envisageable et la spéculation ignorée. En somme, l'expérience — telle que transmise encore par certains discours scientifiques du dernier XIXe siècle — se veut représentation fidèle et naturelle de la nature qui, ainsi, se montrerait à nu dans les espaces des hommes de science. Comprendre les faits de nature reviendrait à faire ou voir des expériences. C'est l'idée qui prévaut encore aujourd'hui  majoritairement  dans le grand public. Et c'est ce qui pose problème dans sa traduction enseignante.
La dualité que nous venons ainsi de mettre à jour, témoigne du rapport permanent entre l'expérience et les mathématiques. Pour Képler et Galilée, les mathématiques — sous la forme d'une théorie — commandaient et organisaient l'expérimentation par une abstraction s'opposant à l'expérience sensible. Pascal et Boyle, au contraire, postulent que la nature se montre à nous par l'expérience et qu'il revient au savant de décrypter ce qui est donné à voir ; d'en ressortir les lois qu'elle cache et qui sont présentes. On mesure bien combien les deux démarches sont inverses, mais en même temps complémentaires. Dans tous les cas, l'abstraction est l'opération de constitution du savoir. C'est peut être ici que commencent les difficultés de l'enseignement.
On peut se demander finalement, si l'histoire des conceptions en physique ne reflète pas cette dualité qui se manifeste au cours du temps :  expérimentation ou formalisme ? Cette alternative prévaut aux débuts de  l'enseignement, à travers le choix des méthodes, des procédés, des programmes et des plans d'études.


 

 

II. Quel enseignement de la physique édifier aux XIXe et XXe siècles ?


Tout au long du XIXe siècle, l'enseignement des sciences physiques va connaître une marginalisation récurrente. Excepté l'épisode marquant de l'expérience de la "bifurcation" sous le second empire, les variations des plans d'études vont donner l'image d'une matière que l'on n'étudie qu'à la fin du cursus secondaire, lorsque les apprentissages mathématiques de base ont été satisfaits. Une physique descriptive et phénoménologique, dite physique élémentaire, est enseignée en classe terminale[xxxv] et constitue un apport d'information sur les phénomènes de la nature. Cette physique élémentaire ne comprend aucuns calculs. La physique dite physique spéciale est destinée à ceux qui veulent se préparer au concours d'entrée des écoles du gouvernement[xxxvi]. Son enseignement est très mathématisé dans la mesure où les parties de la physique concernées connaissent elles‑mêmes un développement formalisé. Physique élémentaire et physique formelle se conjuguent dans les lycées : aux classes normales, la physique élémentaire des phénomènes ; aux classes supérieures, la physique mathématisée pour une très petite minorité d'élèves[xxxvii]

1. De la physique et chimie expérimentales à l'enseignement des sciences physiques


Lorsque prend naissance un enseignement de la physique et chimie comme science moderne dans les écoles centrales de la Révolution française, les autorités prennent alors soin de spécifier qu'il s'agit de sciences expérimentales, montrant par là leur volonté de placer l'expérience au cœur de l'enseignement. Il y a volonté de rompre avec la physique des systèmes, trop scolastique, au profit d'explications de type newtoniennes où les explications du cours sont rapportées aux expériences présentées pas le professeur. Car à cette époque, il ne s'agit pas encore de faire manipuler les élèves, le maître étant seul à mettre en œuvre les expériences. La volonté des législateurs est que naisse une science fondée sur la modernité — la chimie de Lavoisier sera à l'honneur, et la vision unificatrice des forces newtoniennes remplace l'appproche cartésienne. Ainsi espère-t-on mettre fin à la philosophie naturelle des anciens collèges, comme moyen de connaissance du monde naturel à des fins d'argumentation théorique aux visées théologiques des fondateurs de cet enseignement.
Si l'expérience est au cœur de l'enseignement, la méthode n'en demeure pas moins toujours magistrale : les professeurs proviennent pour un tiers, du personnel des anciens collèges, et pour deux tiers, des personnels de santé[xxxviii] Cet important courant d'une origine naturaliste des professeurs, marque l'image de la physique et chimie à cette époque. De plus, on constate que ces professeurs se distinguent des anciens physicienphilosophies : à la différence de ceux‑ci, ils n'ont jamais enseigné de philosophie. Cette démarcation est significative d'un nouveau courant pour l'enseignement de la physique et chimie expérimentales. Pour autant, leur formation ne leur permet pas réellement de mettre en œuvre un enseignement expérimental pratique : chacun interprète les textes  à sa façon, d'où l'enquête lancée auprès d'eux afin de définir le nouvel enseignement[xxxix].
 L'analyse des cours manuscrits conservés aux Archives nationales[xl], révèle l'absence d'un modèle unique. La rédaction est presque toujours complète (seuls deux cours sont sous forme de plan détaillé). Le propos est dense, selon une forme discursive traditionnelle. L'approche mathématique intervient seulement dans le chapitre sur la mécanique — définition de la quantité de mouvement, étude de la chute libre à la manière de Galilée. Le cours, entièrment oral, est présenté selon une approche qualitative : le professeur fait appel à l'expérience des étudiants pour les sensibiliser à la propriété visée et introduire à une approche sensible du thème ; il énonce ensuite la propriété et réalise enfin une expérience de preuve devant les élèves. A la fin du XVIIIe siècle, la physique est proche des faits de nature vus à travers des expériences. Les calculs sont presque inexistants.
La création des lycées en 1802 par Napoléon Bonaparte marque un retour à la tradition de l'Ancien régime. Au lieu de choisir une section comme dans les écoles centrales, l'élève est réparti dans des classes fixes à l'année. Il y étudie autant les matières scientifiques que les disciplines classiques : latin et mathématiques sont les disciplines dominantes. Les éléments des sciences mathématiques et physiques sont enseignées durant six années auxquelles peuvent s'ajouter deux années de mathématiques transcendantes et haute physique.
C'est un professeur de mathématiques qui, dans chaque lycée[xli], enseigne les sciences physiques, comme l'indiquent les tableaux ci‑après. Les sciences expérimentales sont en quelque sorte, annexées aux mathématiques puisqu'enseignées par un professeur nommé en mathématiques. Une étude de l'origine des premiers professeurs de sciences physiques montre que les deux‑tiers d'entre eux sont issus des écoles centrales, la plupart ayant occupé une chaire de sciences expérimentales[xlii]. La variété règne parmi les trajectoires personnelles : seule une petite minorité (un tiers) de ces nouveaux professeurs parvient à continuer de n'enseigner que les seules sciences physiques.


1er professeur de
mathématiques
2ème professeur de mathématiques
3ème professeur de
mathématiques

6ème classe de mathéma-tiques
5ème classe de mathéma-tiques
4ème classe de mathéma-tiques
3ème classe de mathéma-tiques
2ème classe de mathéma-tiques
1ère classe de mathéma-tiques

math
+
histoire naturelle
math
+
 éléments de la sphère
math
 +
physique
math
+
astronomie
(éléments)
math
+­­
chimie
math
+ minéralo-gie : son utilité dans les arts



Répartition des matières enseignées par les professeurs de mathématiques dans les lycées (arrêté du 10 décembre 1802)


1ère classe de math
transcendantes
2ème classe de math transcendantes
calcul différentiel appliqué à la mécanique
+
théorie des fluides
+
géométrie appliquée aux plans et cartographie

électricité
+
optique


Matières enseignées par le professeur des classes de mathématiques transcendantes en 1802

 On peut dire que la première génération des professeurs de sciences physiques se caractérise par une diversité des origines et une spécialisation en sciences physiques encore peu affirmée, au profit des mathématiques. Il faut dire qu'une formation des professeurs n'est envisagée qu'à partir de 1808, et que le premier examen des candidats à l'École normale a lieu en 1809[xliii].
Dans les six premières classes de lycée, le professeur — quand il fait place, à côté de l'enseignement des mathématiques, à un enseignement des sciences physiques — donne un enseignement de physique élémentaire, de chimie ou d'histoire naturelle. Dans les classes transcendantes, pour se spécialiser en sciences, l'élève commence par le calcul différentiel et la théorie des fluides, laquelle correspond en fait, à une présentation analytique de la mécanique. Calculs et équations constituent ainsi le lot de l'enseignement scientifique dans la 1ère classe transcendante. La deuxième classe transcendante est consacrée à la physique — dite physique spéciale — laquelle étant formalisée est alors considérée comme la physique la plus élevée, d'où, l'absence de chimie dans ces classes supérieures. On y enseigne ainsi l'électrostatique, science qui se mathématise avec les travaux de Coulomb (loi d'attraction des forces électrostatiques inversement proportionnelle au carré des distances). De même, l'optique — formalisé depuis Descartes — est étudié à travers les lois de la réflexion et de la réfraction, qui mènent aux applications telles que lentilles et leurs formules. On peut donc considérer qu'au niveau des classes de 2ème année de mathématiques transcendantes, l'enseignement de la physique est essentiellement consacré à l'apprentissage de lois ou de formules :  l'expression mathématique y est synonyme d'excellence pour l'enseignement d'une science expérimentale.
Tout au long des XVIIIe , XIXe et XXe siècles, la question d'une physique élémentaire ou spéciale est récurrente. Le terme physique élémentaire renvoie à une physique considérée comme basique : les phénomènes sont vus sous leur angle phénoménologique, et la position épistémologique de cette physique en fait une commencement indispensable à la physique dite spéciale. Par contre, la physique spéciale a recours aux mathématiques pour le formalisme, lequel lui confère son statut épistémologiquement supérieur. Mais, aussi, dans ces nomenclatures, peut-on distinguer une rémanence de la physique d'Aristote (voir supra, chap. 1, I, 2) : la physique dite élémentaire reprendrait la physique dite générale et première — celle qui entre en commun avec tous mes phénomènes, en particulier les forces et l'étude de la matière — et la physique dite spéciale, la physique particulière. Le terme élémentaire évoque donc l'idée d'un tout structuré en parties successives, épistémologiquement mais aussi temporellement parlant.
Lorsqu'en 1809, les chaires de physique sont créées, l'enseignement de la physique et chimie devient autonome et distinct de celui des mathématiques. Un changement d'organisation entraîne un  report de la physique dans la 6ème classe (classe terminale) appelée classe de philosophie, ainsi que dans la 7ème ou classe de mathématiques transcendante pour les futurs spécialistes en sciences. Là encore, la séparation se fait sur la présence ou non de calculs mathématiques : les philosophes apprennent la physique élémentaire, celle qui décrit les phénomènes de la nature. Aux scientifiques, la physique et son cortège de lois et de formules. Cette situation, bien que se modifiant plus ou moins selon les nombreux plans d'études qui se succèdent, va perdurer tout au long du XIXe siècle, fixant la dichotomie entre physique qualitative et élémentaire — pour la majeure partie du cursus classique — et physique mathématique — pour les classes d'excellence scientifique. La majeure partie des étudiants font des études humanistes, et étudient une physique consacrée aux propriétés de la matière, aux récits des découvertes des lois. Cette sorte de vaste panorama sur l'évolution des sciences est présentée par le professeur de sciences physiques ;  celui-ci, accompagne parfois son exposé de la présentation d'une reproduction de l'appareil à l'origine de la découverte ; il évoque alors son utilisation sans, généralement, le faire fonctionner. Il est intéressant de noter qu'un professeur tente assez rarement de reproduire l'expérience décisive du savant qui l'a mise au point. D'où les doubles critiques qui sont faites à l'enseignement de la physique et chimie : des contenus trop exhaustifs, une part importante consacrée aux descriptions d'appareils, des approfondissements excessifs qui frôlent la discussion de chercheur, un souci exacerbé de la précision dans les résultats numériques, comme à la faculté. Mais aussi, dans les classes scientifiques, une présentation mathématisée et coupée de l'expérience, où le formalisme seul constitue l'objectif de la préparation des concours d'admission aux Écoles du gouvernement.

2. De la bifurcation à l'enseignement spécial : affirmation du caractère à la fois expérimental et pratique de l'enseignement des sciences physiques 


La lourdeur de l'enseignement est mise en cause par la réforme de la bifurcation à la moitié du siècle (1852) : la création d'une filière spécifique donne toute leur place aux sciences. Pour la première fois, il est possible à un élève de la filière scientifique, de passer directement le baccalauréat ès sciences, lequel était précédemment soumis à l'obligation de réussite au baccalauréat ès lettres. Désormais, le baccalauréat ès sciences est exigé à l'admission de toutes les écoles, sauf l'École navale, et les programmes de concours sont obligatoirement tirés de ceux des lycées. En même temps qu'un changement d'organisation de l'enseignement, les responsables veulent modifier les pratiques enseignantes, et plus particulièrement, les méthodes des professeurs. La question du rapport abstraction / expérience en sciences expérimentales est officiellement posée.
Fortoul, ministre de l'instruction publique et des cultes aux débuts du Second Empire, réunit une commission à laquelle participent Dumas, Thénard et Le Verrier. Les deux premiers sont de grands chimistes ; Le Verrier  (1811 - 1877) est astronome et polytechnicien. Tous trois sont professeurs à la Faculté des sciences de Paris, et prennent activement part aux questions d'enseignement. Le baron Louis Jacques Thénard (1777 - 1857), connu comme défenseur de l'aspect expérimental des sciences physiques est, de surcroît, intéressé par les applications industrielles de la chimie. Il rejoint le Conseil royal en 1830 et veille alors au bon équipement des laboratoires par de nombreuses circulaires. On lui doit l'aménagement et le développement des cabinets de physique dans les lycées. Jean‑Baptiste Dumas (1800 - 1884) donne ses premiers enseignement de chimie générale à l'École centrale dont il est l'un des membres fondateurs. Docteur en médecine et docteur es sciences, il devient adjoint de Thénard dès 1836. Élu comme doyen de la faculté des sciences de Paris de 1842 à 1850, il se consacre à l'administration et à l’inspection générale en même temps qu'il accède à la vice‑présidence du Conseil supérieur de l'Instruction publique, poste qu'il occupera jusqu'en 1864. Son influence sera déterminante pour la définition d'un nouvel enseignement scientifique, puisqu'il rédige la plupart des instructions officielles. Sa conception de l'enseignement s'inspire des caractères fondamentaux suivants : l'enseignement doit être élémentaire, expérimental, appuyé par une démarche historique et ouvert sur la vie quotidienne et la pratique. Son rapport sur l'enseignement scientifique remis dès 1847 à la demande du ministre de l'époque, Salvandy, fait déjà apparaître les grandes directions de sa pensée : "La Faculté pense que la physique, la chimie, les sciences naturelles doivent être enseignées dans les collèges à un point de vue tout à fait usuel. Il s'agit de donner une idée juste de toutes les parties essentielles de ces sciences, une explication suffisante des phénomènes naturels que l'élève est dans le cas d'observer, une connaissance claire des objets ou appareils qui passent sans cesse sous ses yeux ou dans ses mains et non pas seulement une exposition dogmatique de la théorie. …(La Faculté) est sûre que l'enseignement des sciences physiques ou naturelles l'a été (faussé) à son tour, pour les mêmes élèves (qu'en mathématiques) par les résultats du concours général, où l'on a obtenu, sur des questions trop spéciales et trop abstraites, des succès qui ont pu faire illusion.… L'enseignement de la physique, par exemple, devenant de plus en plus abstrait, le nombre des élèves qui le suivent d'une manière efficace a toujours été diminuant, surtout pour la classe de mathématiques spéciales. (…) On a, il est vrai, amélioré l'enseignement [en classe de mathématiques élémentaires], mais il reste encore du bien à faire dans le même sens. Il faut rendre à ces études leur caractère. Elle doivent être calculées pour la masse des élèves, et il importe pour atteindre ce but de les faire rentrer dans un ordre d'idées plus expérimental et plus pratique ; de les fonder sur une exposition de la marche même des découvertes ou des inventions, de les appuyer toujours sur des faits ou des expériences nombreuses, bien enchaînées et bien exécutées… [Car] il faut bien le dire, la physique, la chimie, l'histoire naturelle, enseignées sans manipulations, sans l'examen attentif des objets réels qu'elles apprennent à connaître, sont des études stériles… L'objet philosophique de ces études est entièrement perdu de vue, quand on veut en faire des sciences de pure spéculation, et qu'on adresse à la mémoire de l'élève leurs formules générales ou leurs classifications. Outre que les sciences physiques et naturelles apprennent à la jeunesse une multitude de faits considérables pour la connaissance de soi-même et celle de la nature entière, elles ont encore ce caractère particulier, qu'elles l'initient largement, quand elles sont bien enseignées, à la connaissance de l'art d'observer, de l'art d'expérimenter."[xliv] 
Aussi, pour la première fois en 1854, des instructions officielles sont publiées. En réaction contre l'enseignement surchargé et trop mathématisé des lycées, et que certains jurys de concours imposent en aval, notamment celui de l’École polytechnique, les textes officiels conseillent : "Bornez votre enseignement ; loin de vous engager par delà du programme, restez plutôt en deçà. Mais quand vous faites une expérience fondamentale analysez‑en les conditions essentielles avec soin ; faites-en bien ressortir les conséquences immédiates […] Défiez-vous des exposés abstraits […] Ce sont les faits qui ont servi de point de départ à toutes les découvertes […] ; ce sont les faits qui la guideront encore dans l'avenir [.…] dans l'exposition des grandes théories, on ne saurait trop recommander aux professeurs de marcher du connu à l'inconnu. Ils donneront pour base à leurs leçons, en pareil cas, une idée ou un fait familier aux élèves, vulgaire s'il se peut, et ils en feront sortir devant eux, par voie de déductions, en justifiant celles-ci par des expériences appropriées, toutes les conséquences que la science en a tirées. Tous ce qui tend à confondre l'étude des sciences physiques avec les observations et les notions de la vie commune doit être saisi avec empressement [.…] On ne saurait donc trop recommander aux professeurs de physique de commencer l'exposition de toutes les grandes théories par un précis historique très fidèles, et, au besoin, par l'exacte reproduction de l'expérience d'où l'inventeur est parti. Ils n'oublieront pas que la physique est une science expérimentale, qui tire parti des mathématiques pour coordonner ses découvertes, et non point une science mathématique qui se soumettrait au contrôle de l'expérience"[xlv]
La physique ainsi enseignée doit être plus pratique, ouverte sur la vie, montrée avec des appareils simples et familiers. Le souci du caractère pratique doit se concrétiser dans la présentation des résultats expérimentaux. Qu'il s'agisse de résultats, de coefficients de dilatation, etc…, on trouve en effet, régulièrement avant 1850, un nombre de chiffres significatifs impressionnant, qui renforce de fait, l'aversion des élèves pour la physique. Les instructions de 1854 souhaitent que les nombres ne rebutent plus et soient  présentés "dans ce qu'ils ont de pratique et en rejetant ce qui est luxe et de pure curiosité scientifique"[xlvi]. Enfin, avec les Saint‑Simoniens, Napoléon III pense que le progrès industriel est la première condition du progrès social, d'où l'intérêt de faire place aux applications de la vie quotidienne. A l'instigation de Dumas,  Fortoul explique que la science, sans perdre de sa dignité, peut descendre à l'explication des pratiques les plus usuelles des arts, de l'hygiène et même de l'économie domestique. La science enseignée s'inscrit dans l'utile, ce qui, après les tentatives avortées du XVIIIe siècle[xlvii], rompt avec la nature désintéressée et abstraite qui la caractérisait jusqu'alors. Ces nouvelles instructions ont pour conséquence l'apparition dans les manuels et les cours, de descriptions d’objets techniques et d'applications de la science. A partir de la deuxième moitié du siècle, ces descriptions s’ajoutant ainsi aux descriptions d'instruments et de dispositifs expérimentaux habituels, il en résulte un accroissement considérable des ouvrages, ainsi qu'une surcharge importante des programmes.
Dès 1859 la bifurcation est remise en cause devant l'hostilité quasi générale des parents et des enseignants. Pour Bertrand, membre de l'Institut et mathématicien, l'affaiblissement des études scientifiques — sous‑entendu des études mathématiques — est une conséquence certaine de la bifurcation "les résultats des examens du baccalauréat, les réponses des élèves dans les classes des lycées et la lectures des compositions du concours général donnant des résultats trop concordants pour laisser aucune place au doute"[xlviii]. Il incrimine, à mots couverts, le temps qu'il juge trop long, consacré aux sciences physiques et qui manque à l'enseignement mathématique : "Ces sciences sont étudiées aujourd'hui avec le même soin que les mathématiques et les élèves y attachent une importance égale, mais le champ étant beaucoup plus vaste, les résultats obtenus ne sont pas comparables [à ceux obtenus en mathématiques] […] on peut se demander si, pour la plus grande partie des élèves, une ignorance complète ne serait pas préférable aux notions confuses qu'ils ont acquises […] Je vous avoue que pour moi je me trouverais en désaccord complet avec les idées qui ont inspiré le plan d'études actuel […] je crois qu'un jeune homme de dix huit ans peut sans inconvénient ignorer complètement un grand nombre de choses que l'on cherche à lui apprendre aujourd'hui."[xlix]. En 1890, Zevort directeur de l'enseignement secondaire résumera la situation : "C'était une conception fausse des besoins de la grande majorité de la clientèle scolaire que celle qui consistait à imposer les mêmes études aux aspirants à l’École polytechnique et à la masse qui réclamait un enseignement plus pratique et moins élevé"[l]. L'expérience de la bifurcation prenant fin, la question de la formation courte, sans latin et de niveau moyen, pour futurs travailleurs de l'industrie, du commerce ou de l'agriculture, réapparaît[li].
En 1865, Victor Duruy publie un plan d'études, ainsi que des programmes et des méthodes particulières à l'enseignement spécial secondaire qu'il vient de créer. Cet enseignement secondaire spécial parallèle à l'enseignement classique s'en veut différent, non seulement par l'absence du latin, mais par ses méthodes qui doivent être autres. Il doit dégager un esprit nouveau qui développe chez l'élève un esprit propre à embrasser les professions jusqu'alors occultées par l'enseignement secondaire, sans qu'il s'agisse d'une véritable préparation professionnelle. Les sciences y sont donc enseignées autrement. Pour la première fois, un enseignement des sciences repose sur une approche pratique, la théorie n'étant plus au centre des cours. On mène les élèves au laboratoire de chimie pour faire des manipulations, sur le terrain pour le levé des plans, dans la campagne pour étudier certaines cultures, dans les usines pour voir fonctionner des appareils. La présidence de Jean‑Baptiste Dumas à la commission mise sur pied pour "s'occuper d'une branche de l'enseignement public placée au‑dessus de l'instruction primaire et qui viendrait la continuer parallèlement avec l'instruction secondaire donnée par les collèges et les lycées" n'y est sans doute pas pour rien[lii]. Le formalisme n'apparaît pas comme tel dans ce nouvel enseignement.
Celui-ci connaît ainsi un grand succès, surtout hors des grands lycées parisiens qui se consacrent principalement à la préparation aux concours des écoles du gouvernement. Cependant, le profil à la fois professionnel et secondaire de ce nouvel enseignement apparaît comme une contradiction devant favoriser son évolution. Se rapprochant tant par ses programmes que par ses méthodes, de l'enseignement classique — lui-même contesté —  on assiste alors vers la fin du siècle, à une fusion dont résulte finalement un enseignement moderne en 1890.

3. L'encyclopédisme et la question des méthodes remis en cause 


Toutes ces transformations de l'enseignement secondaire n'en demeurent pas moins seulement structurelles. En particulier, les anciennes méthodes perdurent, y compris dans les enseignements scientifiques qui continuent à être centrées sur la mémoire. Les recommandations sur les modalités de l'enseignement scientifique sont ambiguës : le professeur, méthodique dans ses leçons, doit ou bien adopter une démarche déductive [la loi d'abord], soit s'appuyer sur une expérience, "il doit, par l'intérêt des choses enseignées, communiquer à [l'élève] la curiosité scientifique et, par l'exemple du vrai, développer en lui, s'il en a le germe, l'esprit d'invention. L'enseignement scientifique, bien compris, donne donc tout à la fois, le savoir, la discipline et l'éveil"[liii]. Aucune méthode d'enseignement n'est clairement affichée, laissant toute initiative au professeur, lequel, s'il s'agit d'un professeur de l'enseignement classique, maintient une pratique traditionnelle, ignorant délibérément  celle qui, du fait quotidien va à la découverte des phénomènes. Les conseils donnés avec les programmes sont éloquents : " à la démonstration des vérités scientifiques, le professeur rattachera à l'occasion l'exposé des méthodes et l'histoire des découvertes"[liv]. La démarche est démonstrative, et donc, principalement déductive. La méthode de découverte, facultative, ne donne lieu qu'à un exposé accompagné d'un point de vue historique. L'enseignement méthodologique de la physique ne s'inscrit plus dans une approche pratique, mais dans la "logique de la science"[lv], formulation qui n'est pas sans rappeler une branche de la philosophie : "C'est pour cette même raison d'éducation générale de l'esprit… que par là [l'approche logique de la science] le professeur de sciences peut relier ses leçons à celles des professeurs de lettres, d'histoire, de philosophie.… Tout en exposant les lois et l'évolution de la nature, les lois et les progrès de l'esprit humain, il collabore à sa manière à l'enseignement de l'histoire des humanités."[lvi]. Ainsi l'enseignement moderne est ramené dans le giron de l'enseignement classique.
Les cours s'en trouvent ainsi alourdis, centrés sur la mémoire, renforçant l'impression de fatigue des élèves. Ceux-ci doivent retranscrire la leçon sur un cahier : pratique qui rejoint celle générale de la rédaction de cours. La description prend le pas sur la compréhension et le raisonnement. Quant aux élèves se spécialisant en sciences —le plus souvent, en mathématiques, seule matière valorisée aux concours d'entrée dans les écoles du gouvernement — ils étudient toujours une physique mathématisée, où le phénomène fait place à la précision des instrumentsde mesure, aux formules des dilatations, de l'électricité statique, de l'électromagnétisme et de l'optique et ses lois. Les exercices numériques presque inexistants au début du siècle, apparaissent progressivement, sans toutefois atteindre la forme de problèmes à plusieurs questions. L'importance des mathématiques à cette époque, est surdéterminante dans les concours et les programmes des Écoles de gouvernement. Il s'en suite que les mathématiques constituent encore la clé de l'apprentissage en "haute" physique. Dès lors, leur présence est incontournable quand il s'agit de formation des futures élites. Il faut, en outre, remarquer que les lois et formules sont données telles quelles, sans participation de l'élève , d'où la nécessité pour lui, de retenir tout par cœur. Le volume des connaissances va augmentant, de même que le nombre des pages des traités qu'utilisent les élèves et dont rend compte le tableau ci-après [lvii].. Un simple Précis pour la préparation aux concours, comme le Précis de physique  de Fernet en 1868, ne comporte pas moins de 300 pages. On comprend les nombreuses critiques de la fin du siècle sur la lourdeur des programmes. Si l'on s'en rapporte aux ouvrages de Ganot, l'encyclopédisme confine bientôt à la démesure. L'effort de mémoire s'accroît à tous les niveaux, et l'encyclopédisme des programmes entraîne sa  surcharge, d'où une fatigue des élèves et leur démotivation.

Nom de l'auteur
Année de parution
Nombre de pages
Boutan et d'Alméïda
1862
783
Ganot
1851
648
Ganot
1863
824
Ganot
1884
1116
Pinaud
1851
455
Focillon
1868
500
Focillon
1890
570

Évolution du nombre de pages de certains traités de physique expérimentale de 1862 à 1890


Lippmann, membre de l'Académie des sciences et professeur de physique à la Faculté des sciences de Paris, affirme que la curiosité scientifique des étudiants arrivant à la Faculté ne cesse de diminuer, et attribue cette baisse "à l'erreur de principe [que constitue] l'esprit d'érudition, c'est‑à‑dire à l'abus de la mémoire [.…] les jeunes gens au lieu de s'arrêter de temps en temps pour bien s'assimiler à fond […] continuent de travailler en effleurant seulement les matières, sans en garder un souvenir durable […] ils ont accumulé des phrases, des réminiscences et ils finissent par ne rien savoir du tout ; finalement l'incuriosité, le dégoût, quelque fois l'horreur de tout ce qui ressemble à un enseignement."[lviii] Ces propos valent autant pour l'enseignement classique que pour l'enseignement moderne.
De même, avec une autre argumentation, l'encyclopédisme est dénoncé par Darboux, membre de l'Académie des sciences et doyen de la Faculté des sciences de Paris : "la situation actuelle trouve son origine dans le développement d'une foule de branches successives ajoutées à l'enseignement secondaire […] on a introduit successivement dans le plan d'études les sciences, l'histoire, les langues vivantes, la philosophie […] accumulation de connaissances[…] propre à dégoûter de toute étude"[lix]. On retrouve dans ce propos, les arguments déjà mentionnés par Bertrand, à propos de la bifurcation, lesquels allaient dans le sens d'un retour à l'ancien plan d'études où les mathématiques avaient un poids plus important parmi les matières autres que les lettres.
En sciences physiques, Fernet, ancien professeur de sciences physiques et inspecteur général de l'Instruction publique considère que "pour la physique, par exemple, il n'est pas douteux qu'on puisse les (les programmes) alléger beaucoup. Certains paragraphes de ces programmes sont restés à peu près ce qu'ils étaient il y a cinquante ans ; d'autres sont devenus pires, en ce qu'on a conservé tout ce qui y était, et qu'il a fallu y ajouter, pour tenir compte des progrès de la science. Il faudrait en retrancher tout ce qui n'a qu'un intérêt purement historique, ou purement théorique"[lx]
Enfin, selon  Berthelot [1827 - 1907], secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, ancien ministre de l'Instruction publique [1886], inspecteur général de l’enseignement supérieur pour les sciences [1876] et vice‑président du Conseil supérieur de l'Instruction publique pendant de nombreuses années, la différenciation classique‑moderne ne serait pas convenablement mise en œuvre du fait de la cohabitation de leurs enseignements dans les mêmes établissements, ce qui serait une erreur[lxi]. Car, d'une part, la taille des établissements devient excessive "quand dans un lycée il y a 1 200 internes, sans préjudice de plusieurs centaines d'externes, il est encombré […] il est impossible de faire autre chose que de suivre la tradition […] [dans ces conditions] les directeurs sont dans l'impuissance de faire aucune réforme ni innovation profonde, ou de transformer l'organisation générale de leur établissements"[lxii]. D'autre part, parce que "Ces maux ont encore été aggravés par l'institution de l'enseignement moderne […] or il est à peu près impossible de pratiquer dans le même établissement plusieurs méthodes d'enseignement"[lxiii]. Berthelot considère en effet, que cette proximité a fait tendre les deux types d'enseignements vers "une même uniformité de routine" entraînant une similitude des méthodes, alors qu'une "variété de méthodes aurait dû exister entre ces deux différents enseignements… [nécessitant] de consacrer à l'enseignement moderne, des établissements absolument séparés de ceux de l'enseignement classique"[lxiv]. Le statut de l'enseignement moderne est contesté. Aux difficultés d'enseignement des disciplines s'ajoutent celles de la concurrence des enseignements classiques et modernes. Double dualité pour l'enseignement de la physique que celle de la formalisation opposée à la physique qualitative, et celle d'un enseignement moderne concurrent de celui des latinistes humanistes.
D'où l'opinion de ceux qui voient en l'enseignement moderne un enseignement jugé trop théorique. Ainsi Pruvost, ancien professeur de mathématiques et inspecteur général de l'Instruction publique, voit dans cette évolution trop théorique de l'enseignement moderne, l'une des causes de la désertion des élèves, les enseignements devant être, selon lui, adaptés aux conditions locales : "On a donné à cet enseignement (moderne], un caractère plus théorique que pratique ; je crois que c'est un malheur (…] A Brest, quand on a substitué l'enseignement à l'enseignement spécial, les classes de seconde et de première moderne ont diminué considérablement. Pour en assurer le recrutement, on a dû recréer au lycée un enseignement absolument pratique ; en particulier on a installé des ateliers. En effet, la plupart des élèves de seconde et de première moderne se destinent à entrer dans les mécaniciens de la flotte, et le programme des examens comprend le travail du fer. A Lyon, la classe de première n'est pas très peuplée, parce que les élèves la quittent pour entrer dans des maisons où on prépare à l'industrie lyonnaise. A Rouen il en est de même, ainsi qu'au Havre : "les élèves vont dans des maisons où on les prépare au grand commerce d'outre‑mer (.…] Je crois qu'il y aurait avantage (…] à varier les programmes, suivant les localités, à partir de la classe de seconde et à les rendre plus pratiques"[lxv]. C'est en fait toute l'ambiguïté entre un enseignement secondaire à vocation scientifique, et un enseignement technique à destination professionnelle. 
Berthelot propose de reconsidérer l'enseignement moderne, position qu'il va défendre avec ardeur, d'autant plus que sa position de chimiste accompli et reconnu plaide en faveur de l'enseignement expérimental. Ce chimiste, d'abord nommé préparateur au Collège de France a mené durant une dizaine d'années des recherches sur la chimie organique au terme desquelles il soutient à la fois une thèse de chimie sur les synthèses organiques (1854], et une thèse de pharmacie (1858][lxvi]. Chimiste infatigable, il parvient en dépit de l'opposition de Pasteur à obtenir une chaire de chimie organique au Collège de France, organisant ainsi et développant cette jeune discipline[lxvii]. Berthelot voudrait donc, à travers de nouvelles méthodes, faire de l'enseignement moderne un enseignement secondaire à vocation scientifique, égal en prestige à l'enseignement classique. L'une des conditions serait "(d'imprimer à] l'esprit de l'élève une direction nouvelle assujettie à des méthodes auxquelles la culture classique n'a pas façonné les esprits… (que l'élève] soit intéressé et qu'il ait fait un travail d’assimilation personnelle… (et que pour cela] la pratique des cours soit interdite car c'est le moyen d'enlever aux enfants toute initiative… . En faisant travailler leur esprit, vous (aurez] atteint le but."[lxviii]. La conséquence pour lui, serait de supprimer le détail des programmes pour laisser libre cours à l'initiative individuelle du professeur et de l'élève. On pourrait y voir, en quelque sorte, un retour aux anciens cours des écoles centrales où chaque professeur était censé construisait son programme.
Ces opinions successives traduisent, en fait, les ambiguïtés  de la mise en œuvre de l'enseignement moderne et du malaise de l'enseignement secondaire. A celles-ci s'ajoutent, à la fin du siècle, des demandes sociales auxquelles — du fait de leur grande diversité — l'enseignement secondaire ne répond plus. Ainsi, les études classiques, fréquentées par la vieille bourgeoisie aisée pour accéder aux carrières libérales et aux fonctions publiques, ne répondent plus ni à l'attente de la nouvelle bourgeoisie industrielle et commerçante, ni à l'avènement d'une démocratie plus utilitariste[lxix]. La nouvelle clientèle de l'enseignement moderne, autrefois portée à l'enseignement secondaire spécial, ne trouve pas dans l'enseignement moderne la culture instrumentale scientifique qu'elle recherche, alors qu'elle rejette celle, trop littéraire, de l'enseignement classique qui ne lui convient pas. Les pédagogues réformateurs défendent l'ouverture au monde de l'enseignement secondaire et prônent de nouvelles méthodes fondées sur l'approche expérimentale au détriment du formalisme théorique. Ces contradictions sont ressenties par tous. L'identité de l'enseignement secondaire est en cause. De nombreux débats jalonnent la dernière décennie du siècle, annonçant l'importante réforme de 1902, réforme qui constitue pour l'enseignement de la physique un tournant majeur.

4. La réforme de 1902 : pour un enseignement expérimental fondé sur une logique positiviste. 


Avec la réforme de 1902, la place des sciences augmente dans le plan d'études. Mais le principal changement apporté par la réforme réside dans le nouveau rôle que l'on veut faire jouer aux sciences expérimentales. L'idée centrale est d'adapter le système secondaire à la diversité du monde moderne ouvert sur la démocratie. Le tableau ci‑après rend compte de la nouvelle distribution des horaires : contrairement au siècle précédent où la physique n'intervenait que dans la classe terminale, toutes les classes à partir de la seconde reçoivent un enseignement de physique, et ceci, dans toutes les sections.


Répartition des horaires de sciences physiques par section, par classe, et par semaine, dans le second cycle des lycées
 Toujours attaché à l'humanisme, le but de l'enseignement secondaire est la formation générale de l'homme en le préparant à la vie, non pas la vie pratique, ni l'exercice d'un métier — car cet enseignement doit tendre à donner principalement des qualités de méthode et de jugement. Ainsi, ira‑t‑on vers la vie plutôt que l'érudition, vers l'éducation de la pensée, plutôt qu'une initiation aux procédés spéciaux du métier[lxx]. Les moyens de parvenir à la mise en œuvre de ces objectifs s'inscrivent dans le contexte intellectuel de chaque époque.
A la fin du XIXe siècle se développe un courant d'idées, évocateur du siècle des Lumières, selon lequel l'enseignement est autre chose qu'une transmission de savoirs théoriques. La question de l'encyclopédisme est déplacée au profit de la formation de l'esprit : "[il faut] faire connaître aux esprits toutes les diverses attitudes mentales qui sont nécessaires pour qu'ils soient prêts à aborder un jour les diverses catégories de choses. C'est à cette condition que la culture encyclopédique n'impliquera aucun surmenage et aucune surcharge"[lxxi]. Ainsi, "[le] but [de toute éducation] doit être de faire de chacun de nos élèves non un savant intégral, mais une raison complète"[lxxii]. La culture générale n'est plus l'apanage des humanités mais s'étend à une formation d'esprit par les langues, la culture scientifique, la culture historique[lxxiii]. Une nouvelle forme d'humanisme prend forme, conception élargie de l'honnête homme que défendent les universitaires républicains de la Nouvelle Sorbonne porteur des valeurs du positivisme de la fin du siècle. De plus, la nécessité de former les futurs scientifiques de l'enseignement supérieur et de l'industrie, tous les deux en plein essor, suppose la formation de spécialistes en sciences.
Finalement, qu'il s'agisse de culture générale ou de formation scientifique, l'unanimité va se faire sur l'importance des méthodes comme base de l'enseignement secondaire. Celles‑ci doivent assurer la modernité de l'enseignement secondaire, car "un enseignement qui ne serait pas moderne par la substance et par l'esprit deviendrait un péril national"[lxxiv]. Louis Liard, directeur de l'enseignement supérieur jusqu'en 1902, affirme ainsi la dualité de la culture idéale et considère que "les études scientifiques doivent comme les autres, contribuer à la formation de l'homme. Ainsi les sciences participent à la culture générale par l'importance de leurs méthodes, ouvrant aussi bien sur une formation d'esprit que sur une compétence spécifique : "nous voulons que [les élèves] soient munis de connaissances positives et qu'ils n'aient pas appris à comprendre seulement pour exprimer, mais surtout pour agir"[lxxv]. Les sciences physiques offrent pour cela, un caractère réaliste qu'il convient de réhabiliter dans les études : "On ne saurait donner aux sciences physiques une trop grande place dans l'éducation scientifique de la jeunesse française. Ce pays, qui est surtout de génie idéaliste et déductif, a besoin d'un grand bain de réalisme."[lxxvi] 
Cette référence au concret va de pair avec le projet positiviste organisant la réforme : aller des faits à l'abstraction, démarche considérée comme caractéristique des sciences physiques, auxquelles on reconnaît un double mérite. Celui d'apporter, d'une part, l'idée de vérité positive, c'est-à-dire du fait expérimentalement constaté, et d'autre part, l'idée de loi naturelle par la mise en relation des faits entre eux. Un bénéfice supplémentaire avoué est l'élimination de la subjectivité, un autre plus implicite, celui de ne plus soumettre les esprits à des lois naturelles supérieures, sous‑entendu, divines :"Le savoir positif nous amènera à construire un système rationnel d'action et une morale indépendante de toute hypothèse métaphysique"[lxxvii].  
Il s'agit donc, finalement, de rectifier le système d'études, dominé à la fois par un enseignement littéraire privilégiant les textes anciens et par un excès de formalisme dans l'enseignement des mathématiques. De plus, la nécessité de rompre avec les méthodes déductives employées jusqu'alors autant en physique qu'en mathématiques s'impose. Pour la première fois, une telle façon d'enseigner, autre que celle, dogmatique et historique, défendue en 1852 par Fortoul est envisagée, et des exercices pratiques créés[lxxviii]. Avec la méthode inductive, une nouvelle physique fondée sur une logique scientifique est ainsi mise en place.
Les instructions officielles qui accompagnent les programmes sont l'œuvre de lalatin sous‑commission des sciences physiques de révision des programmes, nommée à la demande de la commission Ribot. Celle‑ci est composée de quatre physiciens membres de l'enseignement supérieur — Henri Abraham, Jean Perrin et Jules Violle de l’École normale supérieure, Paul Janet de la Faculté des Sciences de Paris — de deux chimistes de la Faculté des Sciences de Paris — Albin Haller et Edouard Péchard — et de deux inspecteurs généraux de physique[lxxix], Gabriel Joubert et Lucien Poincaré.
Si le contenu des programmes demeure sensiblement le même qu'avant la réforme, on doit signaler que leur progressivité dans la section scientifique constitue un changement heureux. Mais l'innovation la plus spectaculaire est la nouvelle conception qui préside à cet enseignement. En rupture avec les conceptions antérieures, la sous‑commission propose une approche réellement expérimentale de la physique et de la chimie, cohérente en cela avec la sous‑commission de mathématiques. Le souci d'une unité de méthodes sous‑tend les options prises dans l'aide que les disciplines sont appelées à se donner.
L'instauration des exercices pratiques de physique constitue l'innovation majeure dans la mise en œuvre d'une véritable physique expérimentale[lxxx]. C'est une physique inductive et immédiate qui est recommandée, pour un enseignement à la fois élevé, simple et très pratique qui permet d'éviter les développements mathématiques et de recourir en priorité à l'expérience. Ainsi, cherche-t-on à induire la loi, celle‑ci  apparaissant alors comme détachée des dispositifs anciens qui l'ont fait découvrir. Sa mathématisationrenvoie d'abord à un aspect graphique, représentant privilégié de la loi naturelle. Le graphique, cet outil nouveau dans le cours de physique, transforme la description du phénomène en une mise en relation des faits. Vivement recommandé pour son caractère empirique et abstrait, le graphique supplante, pour la première fois, le formalisme tant décrié[lxxxi].
La formalisation mathématique devient adaptée à l'objet de la physique. C'est un premier essai de rapprochement des deux disciplines au service de chacune d'entre elles. Tout le XXe siècle s'appuiera sur cette approche, prônant désormais la méthode inductive pour un enseignement expérimental de la physique. Des réformes de la deuxième moitié du siècle tenteront d'en aménager la conception, voire d'en modifier la vision. Mais dans la pratique, nombreux seront les professeurs au XXe siècle, qui feront leur, ce modèle d'enseignement en physique, avec toutes les déviations évoquées en introduction de ce travail. Les rapports de l'expérience et de la mathématisation seront au cœur des difficultés, mais avec elles, se posera finalement la question des méthodes d'enseignement et celle de l'apprentissage.


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Chapitre 2. - Mythe et réalité : la place de l'expérience dans le cours de sciences physiques


I. Apparition de l'expérience dans le cours de physique

1. L'enseignement de la physique dans les collèges de l'Ancien régime


Dans les collèges de l'Ancien régime, les cours de physique relèvent d'un enseignement de philosophie qui dure deux ans et comprend logique, éthique, métaphysique, physique[lxxxii]. La physique, traitant des corps naturels, est considérée tantôt comme une science particulière donc inférieure — elle précède alors la métaphysique, couronnement des études de philosophie — tantôt, à l'inverse, comme au XVIIe siècle, on considère qu'elle "permet de comprendre des concepts très généraux comme acte, puissance ou essence dont on fait constamment usage dans toutes les sciences"[lxxxiii], elle est alors portée à la fin des études de philosophie. Une évolution lente se dessine : à l'ordre fondé sur la hiérarchie des matières succède celui commandé par leur fonction. La physique peut être alors étudiée plus longuement ou de façon plus indépendante, d'où son éloignement possible de la métaphysique.
La classe de physique n'est fréquentée que par une minorité d'élèves, destinés en général à la cléricature ou à la médecine qui nécessitent un parcours complet du cursus de philosophie. Or, la philosophie paraît superflue aux familles, celles‑ci étant plutôt favorables aux humanités. Aussi, les élèves voulant étudier la physique choisissent plutôt les séminaires pour gagner du temps, ce que déplore par exemple, le prévôt de Lyon : "Leurs classes [des collèges] de logique et de physique sont désertes. On enseigne la philosophie en un an au séminaire ; et c'est ce qui y attire la foule des écoliers, qui ne cherchent qu'à avoir bientôt expédié leurs études"[lxxxiv]. Il en résulte des auditoires peu nombreux, souvent inférieurs à dix en classe de physique pour les collèges de l'Oratoire [excepté ceux d'Angers et Nantes agrégés à la faculté des arts]. Même à Juilly, devenu académie royale, les classes de physique sont restreintes, et comprennent en général de cinq à dix élèves[lxxxv]. La situation des collèges jésuites est plus variable, comme le montrent les données extraites de registres de classe par François de Dainville : un grand collège comme celui de Bordeaux possède une classe de physique avec trente‑trois élèves, tandis que celui de Chalons/Marne n' en a que deux. Les maîtres sont peu spécialisés en sciences et font un enseignement en latin, occupant une place importante dans les collèges jésuites, d'où cette remarque : "A feuilleter ces vieux cahiers rédigés en latin, la langue des cours, on est d'abord frappé par l'espèce de primauté dont jouit désormais, la physique dans le cycle des études philosophiques"[lxxxvi].
Aux XVIe et XVIIe siècles, le cours se fait de façon essentiellement orale : pas de manuels de physique, la leçon est magistrale et dure en moyenne deux heures. Les professeurs sont censés faire deux leçons par jour. Le professeur dicte un texte préparé à l'avance, les étudiants le prennent en note sur leur cahier personnel[lxxxvii], puis le maître abandonne son texte et développe un thème ou une question particulière. Les étudiants l'écoutent jusqu'à ce que, par une brève série de questions et réponses, le professeur s'assure qu'ils ont compris. Il s'agit ici en quelque sorte, d'un cours d'argumentation relatif à des questions de physique sans rapport avec le phénomène expérimental. Ces trois parties — dictée, développement, questions — vont disparaître à partir des années 1650. Le professeur dicte alors totalement un cours de sa composition. L'élève passe alors le cours à écrire sous la dictée du professeur, ce que déplore un jésuite : "il semble que le cours de philosophie ne soit institué que pour apprendre aux jeunes gens à écrire"[lxxxviii].
L'usage du français se répand dans les cours de physique vers la fin du XVIIe siècle sans pour autant se généraliser, tandis que la méthode d'exposition évolue. Elle se rapproche de la question scolastique : présentation des théories des philosophes sur chacun des sujets, discussion puis réfutation ou acceptation suivant les cas. Cette présentation de la physique est couramment appelée physique des systèmes. Cette méthode se retrouve en physique dans l'étude du système du monde, à propos du conflit héliocentrisme-géocentrisme[lxxxix].
Au XVIIIe siècle, les cours prennent une allure plus neutre : le maître dicte le phénomène ou la propriété à connaître, puis présente, en fin de cours, quelques expériences illustratives. A partir de 1720 on trouve ici ou là, mentionnées en marge des cahiers, de rares expériences qui sont présentées après le cours. Celles‑ci ne font donc pas partie intégrante des enseignements. Significativement, ces expérimentations sont ouvertes au public, les femmes y sont d'ailleurs autorisées.
Le cours de physique se présente alors comme un exposé d'abord philosophique augmenté de généralités sur le mouvement et la matière, avec parfois quelques notions d'anatomie, voire quelques points de mathématiques pures — arithmétique, géométrie ou algèbre — ou appliquées — perspective, musique, hydraulique, arpentage, topographie, et art des fortifications. Le cas du collège d'Harcourt constitue, au début du XVIIIe siècle, un exemple de structure ordinaire en trois parties[xc] (voir tableau ci-après) : des généralités sur la matière et le mouvement ; puis, la cosmographie selon Ptolémée et Copernic ; enfin l'anatomie selon l'approche mécaniste de Descartes[xci].




Généralités
Qu'est-ce que la Physique ? Son but, etc…
Corps naturels, matière (opinions d'Aristote, de Descartes, de Gassendi, de Le Notre).
Forme et matière.
Du lieu, mouvement, repos, pression, résistance.
Des causes de production du mouvement (Epicure, Péripatéticiens, Le Notre).
Quantité de mouvement, lois des corps au repos, en mouvement, chocs.
Cosmogra-phie
Sphère, système de Ptolémée, Copernic.
Des éléments physiques (Anaxagore, Epicure, Descartes, etc… )

Anatomie
Os, veines, artères, nerfs, membranes, glandes, muscles, tête, thorax…
Causes du mouvement mécanique, nutrition, préparation des aliments, mouvement du sang, du cœur, respiration, etc

Cours de physique du collège d'Harcourt début XVIIIe siècle

On trouve dans les collèges jésuites une distribution analogue quoique davantage calquée sur la trame aristotélicienne : "(d'abord] une physique générale qui traite des principes des corps, de la matière et de la forme (…] Ensuite, sous la qualification de physique particulière, (…] l'étude de la mécanique, de l'hydrostatique, de l'optique. (…Viennent ensuite] les systèmes du monde, des mouvements des astres et des planètes (…] enfin, les quatre éléments terrestres (….] La terre porte des êtres animés : les plantes, (…] enfin l'homme dont le corps offre un mécanisme digne de l'attention des physiciens"[xcii]. Cette distribution est à l'évidence "une philosophie de la nature, un cours de cosmographie, un traité de physique proprement dite, des notions de chimie, d'histoire naturelle et de géographie physique"[xciii]. La physique comprend donc une réflexion presque métaphysique sur la substance et la matière, un traitement mathématique du mouvement et de ses lois, et l'étude du vivant. Il s'agit bien d'une "philosophie naturelle" qui mêle les sciences et les mathématiques à la philosophie. L'expérience systématique n'a aucun rôle à jouer : la méthode est philosophique. C'est une "physique des systèmes", ou physique philosophique, que l'on enseigne dans les collèges de l'Ancien régime. 
Du XVIe au XVIIIe siècle, la structure du cours de physique est ainsi commandée par les traités d'Aristote. L'étudiant commence le cours par la "physique générale" inspirée de la Physique d'Aristote, puis aborde la seconde partie ou "physique particulière" traitant des sujets tels que le ciel, la météorologie, des changements d'état de la matière, etc… constituant les autres traités d'Aristote[xciv]. Selon les conceptions aristotéliciennes, le monde céleste au caractère parfait est caractérisé par son immuabilité ; l'infériorité du monde sublunaire explique alors les changements incessants qu'il subit. D'où l'importance de l'étude du mouvement et de la matière, du lieu, du vide, du temps, et des causes agissantes. Cette partie commune à tous les corps recouvre la physique générale. La division "physique particulière" s'intéresse à la structure de l'univers, de la terre et des planètes, aux phénomènes météorologiques, à la nature de la vie et de la sensation. Ce découpage en deux catégories de la physique perdurera jusqu'au début du XIXe siècle, avec des aménagements qui tiennent compte, surtout chez les jésuites au XVIe et XVIIe siècle, de la doctrine chrétienne : les professeurs sont alors tenus de suivre l'aristotélisme médiéval défendu par Thomas d'Aquin et exigé des autorités ecclésiastiques de l'époque.
On note cependant, que vers la fin du XVIIe siècle, vraisemblablement par souci de maintenir un haut niveau de connaissances bien que freinés par l'inertie des mentalités et leur respect des directives officielles, les professeurs assimilent lentement la science nouvelle. Ils enseignent l'héliocentrisme de Copernic, le principe d'inertie de Galilée (niant l'absolue nécessité d'un moteur dans un mouvement). Peu à peu, sous la pression du mouvement des idées et malgré les injonctions des autorités religieuses à rejoindre le train commun du péripatétisme ou à se démettre, ils acceptent la vision cartésienne de la théorie des tourbillons pour expliquer la pesanteur et le mouvement de la terre tout en refusant l'idée d'univers indéfini. Le cartésianisme ne s'impose vraiment qu'à la fin du XVIIe siècle chez les oratoriens, et au XVIIIe siècle chez les jésuites, encore qu'il semble que chez ces derniers, son adoption corresponde plutôt à une tentative de contrecarrer la nouvelle théorie de Newton en favorisant celle qu'elle prétend remplacer : durant la première moitié du siècle, les jésuites font du système cartésien leur fer de lance contre le newtonisme, refusant l'expérimentation systématique ainsi que la formalisation.
A l'opposé, bon nombre des professeurs des collèges séculiers de Paris adoptent au cours du XVIIIe siècle, la théorie newtonienne  et ses conséquences : ils attachent une importance particulière à l'expérience — "les qualités des corps [n'étant] connues que par des expériences"[xcv] — et reconnaissent la nécessité d'une approche mathématique du monde considérant, par exemple, que "la gravité… diminue quand on s'éloigne de la Terre"[xcvi]. Une physique expérimentale et mathématique commence à poindre, bien que toujours ignorée des cursus officiels[xcvii].
Le XVIIIe siècle voit ainsi s'affronter les tenants de l'ancien système et ceux de la nouvelle physique. Au milieu du siècle, l'apparition publique de la nouvelle physique expérimentale dans les cabinets de physique de certains aristocrates ou médecins ou autres personnes fortunées, exacerbe les débats. L'expulsion des jésuites accélère indirectement ce mouvement, et permet, dans le dernier quart du siècle, l'installation irréversible de la théorie newtonienne dont  l'application demeure malgré tout limitée. La plupart des professeurs qui, juste avant la Révolution, se rallient à la théorie de l'attraction n'en restent pas moins attachés au fond d'eux‑mêmes, à la vision mécaniste cartésienne pour expliquer le mouvement des planètes[xcviii].
L'apparition des expériences connaît ici et là, dans certains établissements, une importance accrue : on vend même, dans les collèges séculiers, des "cahiers en blanc pour recueillir la dictée des cours, [comportant] des feuillets imprimés pour les figures des appareils expérimentaux"[xcix]. Ceux-ci sont toujours dispensées en latin, la plupart de temps par le régent de logique, ce qui ne facilite guère les explications scientifiques, et freine l'introduction d'expériences. Une nouvelle réforme survient en 1783 qui sépare les cours de physique et de philosophie en les attribuant à deux professeurs différents. Mise en œuvre au collège Louis‑le-Grand en 1784, la situation est moins avancée ailleurs. Après l'expulsion des jésuites, il devient finalement difficile de trouver des maîtres. L'enseignement scientifique connaît une impasse : des professeurs manquent pour continuer d'enseigner une physique archaïque, et en même temps les chaires expérimentales, indispensables au développement de la nouvelle physique dans les collèges, n'existent pas. De plus, le recours à des démonstrations expérimentales pose d'autres problèmes, plus modernes cette fois : la plupart des collèges sont peu ou mal équipés et manque de ressources pour y remédier. Aussi certains professeurs plus favorisés en matériel deviendront-ils des démonstrateurs en allant faire, en fin d'année, la tournée des collèges pour montrer aux élèves les expériences illustrant le cours qu'ils (ont) suivi.
C'est sous l'impulsion de savants ou de professeurs en avance sur les conceptions de leur temps, et l'essor de cours publics de physique expérimentale, que les idées vont évoluer.

2. La physique expérimentale et l'apparition de l'expérience. Les cours de l'abbé Nollet


Au cours du XVIIIe siècle,  à côté de la physique des collèges, se développe une nouvelle physique pour laquelle un public de plus en plus nombreux se passionne : dans les salons, à la cour et dans les cours publics de certains collèges, la physique expérimentale éveille la curiosité, instruit la jeunesse par les expériences, et fait l'objet d'une vulgarisation à succès. Au cours de réunions dans les salons ou les cabinets, chacun peut observer des expériences : "[les] mercredis [de Rohault] à Paris et à Amiens étaient fort renommés. Au cours de ces réunions fréquentées par des personnes de tout âge, de tout sexe et de toute profession, dont quelques uns venaient même de fort loin, des expériences étaient commentées par le maître qui excellait dans l'invention de toutes sortes d'instruments et de machines […]. Rohault était un conférencier agréable [… ], il avait introduit dans les écoles de physique la raison et l'expérience"[c]. Son Traité de physique déjà ancien (1671) — le meilleur du début du siècle — rencontre un tel succès qu'en 1708 paraît la douzième réédition.
Cette nouvelle façon d'exposer la physique emporte l'adhésion de quelques rares professeurs. Le Docteur Pierre Polinière montre quelques expériences dans les collèges de l'Université et dans ceux des Jésuites : le roi aurait assisté à son cours du collège d'Harcourt. Ce sont sans doute ces mêmes expériences qu'il relate dans son ouvrage de 1709, les Expériences de physique, où se dessine une nette évolution dans l'enseignement de la physique : avec un souci de vulgarisation, son ouvrage s'adresse aux provinciaux et aux étrangers, et comprend dix-sept planches gravées représentant beaucoup d'instruments. Plus tard, P. Bougeant publie un Recueil d'observations sur la physique [1719], retranchant tout ce qui demande des connaissances en géométrie, ou en algèbre : la physique devient un amusement agréable. D'autres maîtres convaincus par l'évolution des sciences et des idées, et notamment par la nouvelle théorie de Newton développent outils et savoir‑faire et produisent recherches et travaux qui concourent à leur renommée. Par exemple, le Père Regnault ;publie les Entretiens d'Ariste et d'Eudoxe [1729] réédité huit fois en 25 ans et présentant des "exercices fort curieux et qui se font en public avec succès"[ci]. Le père Castel fait paraître son Traité de la physique sur la pesanteur universelle en 1724, enfin le Père Paulian d'Avignon, publie un Dictionnaire de Physique en 1758 dont le tome III comporte un projet d'exercice où sont refaites les expériences de Newton sur les couleurs.
La création, au cours du siècle, de nombreux cabinets de physique favorise le développement de la physique expérimentale[cii]. Par l'accent mis sur les expériences la physique devient une "science agréable des causes naturelles et de leurs effets"[ciii], reléguant son côté mathématique inintelligible parce trop qu'abstrait pour l'époque. Dans certains collèges, l'intérêt pour les expériences devient assez vif pour que les plus spectaculaires d'entre elles soient faites en public, à l'occasion d'exercices ou de thèses. Il s'agit alors de manifestations très prisées, annoncées à l'avance et auxquelles il est de bon ton de se rendre, à la fois pour satisfaire une curiosité mais aussi pour apprécier la qualité des joutes oratoires auxquelles doivent se livrer les étudiants. Même les cahiers d'élèves portent aussi quelquefois témoignage d'expériences par des figures plus ou moins gauches, sorte de trace fugitive ou simple phrase évocatoire, comme si les cours de physique des collèges ne pouvaient rester totalement à l'écart de ce nouveau courant et faisaient ici ou là, allusion aux expériences, de manière presque insignifiante.
La tendance s'affirme avec le temps, les sciences intéressent de plus en plus de monde. La physique expérimentale connaît une vogue sans précédent portée par l'audience de l'abbé Nollet[civ], vulgarisateur de talent et savant de renommée internationale. Les expériences qu'il effectue publiquement dans son cabinet, émerveillent et instruisent. Par la même occasion, il dénigre l'ancienne physique, opposant la conception des systèmes à la sienne, basée sur l'expérience : "Pendant près de vingt siècles, cette science n'a été presque autre chose, qu'un vain assemblage de systèmes appuyés les uns sur les autres, et assez souvent opposés entre eux [.…] On donnait pour des explications certains mots vides de sens, qui s'étaient introduits sous les auspices de quelque nom célèbre, et qu'une docilité mal entendue avait fait recevoir, mais dont un esprit raisonnable ne pouvait tirer aucune lumière.… Enfin la Physique si mal cultivée jusqu'alors, et si peu connue, parut au grand jour, et se fit goûter lorsqu'elle offrit des découvertes utiles, des vérités évidentes, lorsqu'elle pût se faire honorer d'être entendue de tout le monde. […] Cette réforme porta principalement sur la manière d'étudier la nature. Au lieu de la deviner, comme on prétendait l'avoir fait jusqu'alors, en lui prêtant autant d'intentions et de vertus particulières qu'il se présentait de phénomènes à expliquer, on prit le parti de l'interroger par l'expérience, d'étudier son secret par des observations assidues et bien méditées, et l'on se fit une loi de n'admettre au rang des connaissances, que ce qui paraîtrait évidemment vrai. La nouvelle méthode fit de véritables savants, et leurs découvertes excitant de toutes parts l'attention et la curiosité, on vit naître des amateurs de tout sexe et de toutes conditions"[cv]. Nollet organise de nombreux cours publics dans son cabinet de physique, et propage sa nouvelle méthode : c'est avec les instruments, les machines[cvi], les thermomètres, etc., qu'il faut démontrer les faits, prouver ses affirmations. Ses idées sont appuyées par la publication de deux ouvrages phares Programme ou idée générale d'un cours de physique expérimentale [1738], et Leçons de physique expérimentale en 6 tomes, où il détaille sa conception de l'enseignement de la physique reposant sur l'importance de l'expérience : "Depuis que j'enseigne la physique expérimentale, j'ai eu tout lieu de reconnaître  que le moyen le plus sûr de captiver l'attention et de faire naître promptement les idées, c'est, […] de parler aux yeux par des opérations sensibles. En conséquence de cette vérité, je me suis pourvu de certaines machines, que j'ai imaginées pour faire entendre aux personnes qui n'ont des Sciences qu'une teinture très légère, et pour leur faire prendre plus facilement, et en moins de temps, certaines notions sans lesquelles on ne saisirait pas bien l'état d'une question, ou les preuves qui en établissent la théorie […] [Mais] je n'emploie jamais qu'un certain nombre qui soit suffisant ; et par cette économie je gagne du temps pour des choses plus nécessaires […] Je n'ai point voulu que le Lecteur, ébloui d'un nombre superflu d'opérations, pût  perdre de vue la doctrine qu'il s'agit d'établir ; en lui rapportant des faits dignes d'attention, j'ai compté mettre sous les yeux des preuves qui affermissent les connaissances. En un mot, […] mon intention a toujours été qu'il trouvât un cours de Physique expérimentale, et non pas un cours d'expériences"[cvii]. Un discours organisé autour des expériences prend forme : celles‑ci ne se suffisent pas à elles‑mêmes. Ainsi, Nollet fonde l'idée d'un cours de physique expérimentale, conformément au titre de son ouvrage de 1738.
Désormais, la physique expérimentale trouve une existence autonome, distincte de l'histoire naturelle : "L'objet de la physique expérimentale est de connaître les phénomènes de la nature, et d'en montrer les causes par des preuves de fait : elle diffère de l'histoire naturelle, en ce que celle-ci, sans rendre raison des effets, a pour but principal de nous donner en détail la connaissance des corps dont l'univers est composé, de nous en faire distinguer les genres, les espèces, le variétés individuelles, les rapports que ces êtres ont entre eux et les différentes propriétés. La première de ces deux sciences entreprend de nous dévoiler le mécanisme de la nature ; la dernière nous offre, pour ainsi dire, l'inventaire de nos richesses : l'une et l'autre sont tellement liées ensemble, qu'il est presque impossible de les séparer : un physicien qui n'est point naturaliste est un homme qui raisonne au hasard et sur des objets qu'il ne connaît point ; le naturaliste qui n'est pas physicien n'exerce que sa mémoire."[cviii]. En somme, la physique expérimentale donne une explication des faits de nature tandis que l'histoire naturelle fait l'inventaire de ce qui existe. Le raisonnement sous-tend l'approche physicienne. Cette conception d'origine newtonienne s'appuie autant sur l'expérience que sur l'algèbre ou la géométrie.
Pour la première fois, en Angleterre, la liaison entre expérimental et formalisme est établie, constituant la référence majeure[cix]. A ceux qui souhaitent découvrir des faits expérimentaux, on montre des expériences ; ceux intéressés par la compréhension, doivent recourir aux mathématiques. Nollet fait bien cette distinction : "Je suppose toujours [dans les Leçons telles que j'ai coutume de les faire depuis neuf ans] que le plus grand nombre n'est pas en état d'entendre les expressions d'Algèbre ou de Géométrie, et certains détails qui s'écartent trop des premiers principes ; je pense aussi que l'utilité qu'on en peut attendre, ne serait point aperçue par ceux qui ne font que s'initier"[cx]. Néanmoins, la question du rapport entre expérience et mathématiques demande à être précisée, et Nollet prend soin de le faire : "Après avoir recommandé de très bonne foi l'application de la géométrie à la physique, après avoir reconnu de même que l'étude de la nature n'a commencé que depuis cette heureuse union à faire de véritables progrès, oserais-je dire qu'il est dangereux pour un physicien, de prendre beaucoup de goût à la géométrie ? […] Combien n'en voyons-nous [de physiciens] pas qui ne peuvent descendre des hautes spéculations où ils se sont élevés, qui dédaignent tout ce qui est au‑dessous ? Combien d'autres […] se plaisent à rendre en caractères algébriques, des vérités qui ne perdraient rien de leur valeur, quand elles seraient exprimées d'une manière intelligible à tout le monde !"[cxi]. L'excès de formalisation nuisible à l'approche expérimentale se laisse déjà entrevoir, que Nollet prend en compte pour la rédaction de traités spécifiques au grand public : "Le goût de la Physique devenu presque général, fit souhaiter qu'on en mît les principes à la portée de tout le monde. Bientôt on vit paraître en différentes Langues des Traités élémentaires, qui remplirent à cet égard des désirs du Public. Mais la science dont ils traitent, se perfectionne tous les jours ; les découvertes se multiplient, les erreurs se corrigent, les doutes s'éclaircissent : les mêmes motifs qui ont fait écrire ces éléments, doivent porter à le renouveler de temps en temps, pour y faire entrer les augmentations, les corrections, les éclaircissements qui intéressent nécessairement ceux qu'une louable curiosité rend attentifs aux progrès de cette science. D'ailleurs il est à propos que ces sortes d'ouvrages soient proportionnés au génie et à la portée de personnes à qui on les destine ; j'en connais d'excellents en ce genre qui réussissent en Angleterre, en Hollande, en Allemagne, et qui, s'ils n'étaient traduits dans notre langue, n'auraient peut être pas un aussi grand nombre de lecteurs en France, parce que les principes y sont serrés, et qu'il faut pour les entendre, une attention trop suivie de la part de ceux qui ne voudraient que s'amuser utilement, et parce qu'on y a employé plus de géométrie que les gens du monde n'en savent communément"[cxii].
Progressivement, certains maîtres se rallient à ces vues et rassemblent le matériel indispensable à ce nouvel enseignement. Pourtant la physique expérimentale ne réussit pas à pénétrer dans le cursus officiel des collèges : les chaires de physique sont toujours liées à l'enseignement de la philosophie. La physique scolastique faite de mots et de formules est la règle dans la plupart des établissements alors que les hommes de science s'intéressent à la physique de Newton, à ses règles et ses méthodes. Finalement, rares sont les professeurs qui introduisent les expériences dans leur enseignement et tentent d’en renouveler les méthodes.
En 1753, avec la première chaire royale offerte à Nollet, la physique expérimentale pénètre officiellement dans les collèges. Si la création de cette chaire — nommée "chaire de physique expérimentale" — constitue une première reconnaissance royale, elle n'est cependant pas encore agréée par les autorités universitaires, et ne représente pas encore la physique officielle des collèges, toujours scolastique. Quant aux cours de physique expérimentale du collège de Navarre, ils ont valeur de culture générale et d'information scientifique pour un auditoire extérieur au collège, les collégiens en étant exclus. La séparation demeure entre les deux physiques. Les premiers cours de physique expérimentale comprennent seize leçons réparties entre les deux grandes parties habituelles : propriétés générales et propriétés particulières. Cependant, la méthode de Nollet rompt avec le discours scolastique : dans chaque matière, il choisit ce qu'il y a de plus propre à être démontré par l'expérience, expose l'état de la question et présente tout ce qui peut s'y rapporter dans les arts et les machines.
A l'abbé Nollet, succède M.J. Brisson dans la chaire de physique expérimentale du collège de Navarre. Formé par Nollet, il consacrera sa vie, comme lui, à poursuivre l'œuvre entreprise. Son rôle d'enseignant de physique, et de divulgateur des sciences expérimentales lui vaut aussi d'être répétiteur des enfants royaux. Son oeuvre didactique fait autorité, particulièrement en Physique avec le Traité élémentaire publié en 1789, suivi en 1800 des Principes physico-chimiques à l'usage des écoles centrales[cxiii]
Cette nouvelle façon d'enseigner la physique que prônent Nollet et Brisson prend de l'importance. Dans le débat qui oppose maintenant Cartésianistes et Newtoniens, la voie de la physique expérimentale progresse. Certaines écoles nationales — les écoles d'artillerie de La Fère et du génie de Mézières — commencent à suivre cet exemple en mettant la physique expérimentale à leur programme, de même quelques collèges créeront une chaire de physique expérimentale[cxiv]
Après l'interdiction d'enseigner faite aux jésuites, de nombreux cours privés ouvrent à Paris comme en province : Sigaud de Lafond (1730 - 1810) maître de mathématiques, dont le cabinet de physique est le plus beau et le plus complet qui soit à Paris, donne son cours tous les deux mois lorsque le nombre de souscripteurs est assez grand ; ancien étudiant en médecine à Saint Côme puis, à Paris, il devient démonstrateur au collège Louis-le-Grand où il succède à Nollet, en 1760, à la chaire d'anatomie, de physiologie, et de physique expérimentale. Le physicien Charles fait un cours très suivi du monde savant ; en 1785 sept cents souscripteurs suivent à Paris les cours du Lycée, notamment ceux de Deparcieux chargé de l'enseignement de la physique à la place de Monge ; de 1770 à 1786 à Reims, à Angers, à Grenoble, à Metz, à Bourg, à La Rochelle, à Lille, etc., sont ouverts des cours publics de physique, généralement de 9 heures du matin à 9 heures du soir[cxv].
  On peut dire qu'à la fin du XVIIIe siècle, à l'opposé des collèges où son enseignement reste limité et en marge du cursus habituel, la physique expérimentale connaît, en France, une vogue indiscutable parmi les grands noms de France, les bourgeois riches et lettrés et le monde savant : les expériences lorsqu'elles ont lieu, ne sont pas intégrées au cours traditionnel, mais présentées dans des séances publiques spéciales[cxvi]. Des démonstrateurs commencent à parcourir les collèges, offrant, en dehors des cours, des démonstrations d'expériences plus variées les unes que les autres, satisfaisant ainsi une curiosité caractéristique de l'esprit des Lumières. Progressivement, se développe un intérêt croissant pour l'expérience, entraînant une reconnaissance de fait de la physique expérimentale. En 1769 le Collège royal[cxvii] convertit l'une de ses deux chaires de philosophie grecque et latine en une chaire de physique expérimentale. A l'école du génie de Mézières, Nollet prend Gaspard Monge comme aide de physique, lequel lui succède dans la chaire de physique expérimentale[cxviii]. L'importance de ces mesures annonce le renouvellement que la Révolution apportera, en matière d'enseignement scientifique.

3. Institutionnalisation de l'expérience dans les cours de physique et chimie expérimentales des écoles centrales. La création des cabinets de physique


En cette fin du XVIIIe siècle, domine l'esprit des Lumières : attachement à la raison et la science, intérêt pour la pédagogie et la politique. De nombreux philosophes critiquent l'enseignement donné dans les collèges. Des plans d'éducation se multiplient, qui essayent de remédier aux carences d'une éducation obsolète dominée par l'Église. Les idées nouvelles se propagent rapidement dans les milieux aisés grâce aux journaux, aux salons. Dès lors que la Révolution précipite la réforme de l'enseignement, les collèges sont supprimés et l'État doit mettre en place un système public d'éducation dont il fait le fondement de la société nouvelle. L'influence des philosophes se fait alors d'autant plus forte qu'elle trouve un écho dans les cahiers de doléances : "[L'éducation] doit embrasser les sciences utiles au médecin au jurisconsulte, au militaire et même quelques arts agréables [...] On enseignera les sciences exactes, la physique, la chimie, l'histoire naturelle, l'histoire, la géographie, les beaux‑arts et les langues vivantes, en donnant à ces cours le temps qu'on donnait à des travaux de logique presque inutiles"[cxix]. Divers projets d'éducation nationale sont successivement déposés, notamment ceux de Talleyrand et de Condorcet dont la Convention s'inspire largement dans ses lois du 7 ventôse an III et du 3 brumaire an IV qui instituent les écoles centrales[cxx]. Dans ces nouvelles écoles, les sciences occupent une place importante, conçue dans l'esprit du sensualisme auquel se rallient les législateurs, proches alors des idéologues. L'enfant commence son apprentissage du monde par une approche sensorielle, apprend ensuite à raisonner puis à former son jugement. Il revient à la physique et chimie expérimentales et aux mathématiques en deuxième section, d'exercer l'élève aux opérations du raisonnement, après une éducation des sens par le dessin et l'histoire naturelle ; la formation du jugement couronne son éducation en troisième section[cxxi]. Dans ce cursus, plus d'un tiers du temps est donc accordé aux sciences.
Une discipline nouvelle, la physique et chimie expérimentales, est désormais créée dans les écoles centrales. Nous disposons de 13 cahiers de professeurs adressés à l'administration centrale à l'occasion de l'enquête de 1799 et déposés aux Archives nationales. Ils sont presque tous entièrement rédigés, deux se présentant sous forme de plan détaillé. Deux cahiers contiennent de rares dessins ou croquis, principalement en mécanique, à propos des machines simples et de la quantité de mouvement[cxxii]. Ils ne contiennent pour ainsi dire, aucun exercice[cxxiii]. Les formulations de type algébrique sont très rares, même en ce qui concerne des lois bien établies comme celle de la chute libre ou de la pression exercée par une colonne de liquide. Il est intéressant  de noter que des expériences sont parfois indiquées par une phrase ou expliquées, sans qu'aucun dispositif ne soit figuré.
Ce qui frappe dans ces cours, c'est l'absence d'un modèle unique : sept professeurs sur treize ont un cours assez complet (inspiré de celui de Brisson), trois font surtout un cours de chimie. A l'évidence, chaque professeur enseigne les matières qu'il domine le mieux[cxxiv]. La plus grande variété règne dans les cahiers. La structure des cours et les explications données, notamment dans les introductions, reflètent les modes de pensée du professeur, trahissant souvent une inertie des mentalités : on trouve certains chapitres empruntant les quatre éléments du discours aristotélicien, formulés selon la suite caractéristique l'air/l'eau/le feu/la terre. Le découpage général du cours de physique s'inscrit dans la ligne aristotélicienne traditionnelle[cxxv] — physique générale, physique particulière — à l'image du cours de physique expérimentale de Brisson, auquel les professeurs se rallient majoritairement[cxxvi] (voir les deux tableaux ci‑après).






BRANCHES DE LA PHYSIQUE GÉNÉRALE

Différentes parties constitutives de chaque branche


Quelques exemples  d'objets d'étude, de concepts, de relations


PROPRIÉTÉS GÉNÉRALES  DE LA MATIÈRE
Etendue
Mobilité
Raréfractibilité
Condensabilité
Compressibilité
Élasticité
Divisibilité
Porosité
Impénétrabilité
Expériences d'illustration


Équilibre
    
Mouvement         et          Forces
Vitesse
Force - Qté mouvt
Pendule - Chocs
MÉCANIQUE
Statique         :
                        :---->
Dynamique    :

Mécanique du solide
Machines simples

                                   
Mécanique      :---->
des fluides       :
Hydrostatique

Hydrodynamique
Th. de Pascal
Pr. d'Archimède
Écoulements


La physique générale du cours de physique des écoles centrales


L'examen des 13 cahiers manuscrits montre que les leçons de physique et chimie comprennent des cours et des expériences en quantité variable. Tantôt l'expérience est notée en marge, comme si elle était réalisée à part, tantôt elle figure dans le corps du texte. Mais au‑delà de ces variations, tous les professeurs adoptent une même présentation méthodique, quel que soit le sujet. Ils procèdent généralement selon quatre temps, les trois derniers constituant le noyau  stable :
— Introduction au sensible par des références vécues [facultatif]
— Énoncé de la propriété, ou  règle, ou  proposition
— Réalisation de l'expérience "preuve" et explication[cxxvii]
— Développement de quelques applications connues.







BRANCHES DE LA PHYSIQUE PARTICULIÈRE
Parties et chapitres des branches de la physique particulière

Quelques exemples d'objets d'étude, de concepts, de lois 


L'AIR
Propriétés Physiques



Air en mouvement
Pesanteur
Pression
Aérostatique


Son
Instruments de Musique
Exp. de Torricelli
Baromètres
Ballons
Pompes-Siphons
Vents, Météores
Gammes - Ton
Cordes vibrantes, Sonomètre

ASTRONOMIE
Système du monde
Mouvts apparents
Marées
Ciel

Mesure du temps
Histoire
Soleil-Planètes
Étoiles
Constellations
Comètes
Nuit/Jour
Gravitation universelle
Loi des mouvements




Unités
DU FEU
ou
CALORIQUE
ou
CHALEUR
Théorie
Température
Chaleur
Dilatations
Calorimétrie
Fluide Subtil
Thermomètre

Solides-Liquides
Calorique"combiné"
Le calorique
Construction
Formules
Puits de glace
Combustions

LUMIÈRE
Existence

Propagation
Catoptrique
Dioptrique

L'oeil
Matière

Rectiligne
Miroirs
Prisme-Couleurs
Applications
Défauts
Fluide impondérable
Théorie de l'émission
Ombres
Lois
7 rayons distincts
Instruments
MAGNÉTISME
Aimant

Actions réciproques
Manifestations
Attraction
Répulsion
Procédés d'aimantation

Loi Coulombienne



ÉLECTRICITÉ


Statique







Galvanique
Manifestation
Idioélectriques
Conducteurs
Attraction
Répulsion
Théorie d'existence
Instruments
Condensateurs
Pouvoir des pointes

Pile Volta

Exemples

Loi Coulombienne
Franklin/Aepinius
Haüy
Électrophore
Électromètre
Bouteille de Leyde
foudre, paratonnerre
Effets
La physique particulière du cours de physique dans les écoles centrales

La nouveauté essentielle est l'introduction de l'expérience, qui, selon Haüy[cxxviii], joue deux rôles : "Nous joindrons à l'exposition des phénomènes, les expériences nécessaires pour en faciliter l'intelligence, ou pour établir les théories qui serviront à les expliquer". En cela, il suit les conceptions de Newton, ainsi qu'il le rappelle : "La véritable méthode pour parvenir à l'explication des phénomènes est celle qui a été adoptée par le même Newton"[cxxix].Dans le premier cas, la présentation expérimentale rend le phénomène sensible, donc accessible aux sens, et par là, compréhensible[cxxx], dans le deuxième cas l'expérience confirme la théorie. Cette position de principe s'inscrit dans la conception empiriste générale qui préside à la création des écoles centrales, instituant ainsi la référence expérimentale en matière d'enseignement de la physique et chimie. Ainsi les professeurs estiment indispensable le recours à l'expérience dans leur pratique pédagogique. "Il est incontestable que l'expérience et l'observation doivent servir de base à nos connaissances physiques"[cxxxi] : cette conception de la science exposée par Libes, sert de fil conducteur dans leur pratique. La préoccupation est constante, d'opposer expérience et méthodes livresques, tout en veillant à intégrer le fait expérimental à la théorie, qu'il ne faudrait pas confondre avec la métaphysique : "[il ne faut] pas limiter la physique aux expériences, en renvoyant les notions et définitions à la métaphysique" [Letourneau[cxxxii]]. L'expérience est dotée du pouvoir total de vérité :  "l'expérience révèle par elle-même… elle dégage la nature… "[cxxxiii], d'où sa force pour "démontrer, faire la preuve", et "reproduire l'effet en petit". C'est finalement une "opération manuelle qui interroge la nature". Quant à la manière de présenter et développer les expériences, Libes croit "nécessaire d'insister sur la description des appareils les plus commodes, et sur la manière de s'en servir pour travailler avec fruit à l'avancement de la physique". Il précise aussi : "Nous indiquerons ensuite les résultats de l'expérience ; nous en donnerons l'explication, et nous ramènerons enfin à la question et aux faits qui ont servi à la prouver, tout ce qui peut [se rapporter aux] phénomènes de la nature"[cxxxiv]. On notera ici les divers aspects auxquels renvoie l'expérience : tantôt, elle révèle la nature, tantôt elle la reproduit, d'autre fois encore, elle sert de démonstration, de preuve, et enfin, elle est indissociable de la description des appareils ou instruments qui l'ont fait naître. Une telle complexité ne pourra être résolue facilement.
 Le professeur privilégie le rôle de preuve qu'il assigne à l'expérience. Celle‑ci sert d'argument irréfutable : la nature détient la vérité, l'expérience la prouve. La démarche est de type démonstratif ; il n'y a pas induction du particulier au général, mais à l'inverse l'expérience témoigne pour la théorie énoncée. L'élève écoute et doit admettre la démonstration.
A l'extrême, les conceptions particulières de Beÿts (Lys), méritent d'être rapportées : "La rédaction des cahiers n'est pas nécessaire vu le nombre de livres élémentaires de professeurs connus des cours publics et privés […] Je leur apprends àmultiplier journellement leurs expériences […] on travaille continuellement au laboratoire, et il est ouvert pour les élèves depuis huit heures du matin jusqu'à six ou huit heures du soir ; on y trouve le journal des expériences, plusieurs le copient et tous peuvent le consulter […] chaque élève fait ses notes selon qu'il en a besoin […] je leur ai enseigné la manière de les faire avec concision : un trait de plume dessine une bouteille, une lettre de renvoi marque le contenu […] ". Pour ce professeur, l'objectif principal de la formation n'est pas tant de transmettre des contenus que de convaincre par de nouvelles méthodes de travail : "faire sentir tout l'agrément de l'étude" par la motivation et la curiosité, antinomiques, selon lui, de la dictée des cours, "ayant été extrêmement ennuyé par les cahiers durant le cours de mes études" ;  en somme il cherche à faire de "l'étude […] un délassement". L'expérience est bien ici au cœur de l'enseignement qui, de fait, devient un plaisir et un apprentissage, l'élève se formant à la méthode de la découverte par la pratique de l'expérience. L'élève est considéré comme un savant en herbe.
Alors que la pratique de l'expérience devient une exigence incontournable dans l'enseignement de la physique et chimie expérimentales, les professeurs se voient confrontés à un véritable défi posé par la manque de moyens matériels. Certains professeurs, auront recours au dessin, surtout pour les cours de mécanique et d'hydrostatique : "J'ai fait des leçons de statique et de dynamique la première année, faute d'instruments pour les leçons expérimentales" (Pluvinet à Rouen) ; "il n'existe point de machines pour la démonstration des leçons de physique, sinon celles que je fais autant comme mon temps peut me le permettre […] Je supplée à beaucoup par de très grands dessins". Ce professeur réclame des machines électrique et pneumatique, un appareil pneumatochimique, et précise qu'avant de faire des expériences de chimie, "il faudra, pour le commencement de l'an VIII, construire un laboratoire".
Chaque professeur règle à sa manière les problèmes qui font obstacle à la bonne réalisation des cours : Ampère retient des étudiants, sorte d'adjoints officieux qui l'aident à préparer matériel et expériences, en confiant néanmoins à sa femme que les "cours d'algèbre sont moins fatiguants que ceux de chimie". Pragmatisme et efforts deviennent indispensables pour que l'expérience trouve une place : Roulland (Seine-et-Marne) emprunte du matériel au pharmacien, ou des instruments à son oncle qui les a en double. La conception générale des cours dépend donc fortement des circonstances locales.
L'installation des cabinets de chimie et physique est une conséquence de l'aspect expérimental que doit prendre l'enseignement de ces sciences. La loi Daunou prévoit que chaque école centrale, afin de bien concrétiser le "nouvel enseignement de la physique et de la chimie", dispose de locaux spécialement affectés à la conservation du matériel et à la préparation des expériences devant illustrer les phénomènes à enseigner[cxxxv]. Étant le plus souvent installées dans d'anciens collèges, en général dépourvus d'instruments ou de matériel, les écoles centrales manquent de locaux pour l'installation des cabinets. La tâche des administrations locales est  double : trouver des locaux et les meubler d'armoires, de plans de travail, etc., mais aussi pourvoir à  l'acquisition de matériel nécessaire aux expériences de physique et de chimie. Dix mille livres par an, sont promises à chaque école centrale pour les frais d'expériences, les salaires des employés de la bibliothèque et l'entretien du laboratoire[cxxxvi]. Cette somme ne sera en fait que de six mille livres, comme le précise une lettre du département de le Seine-inférieure au Conseil d'instruction publique[cxxxvii].
Dans 24 écoles centrales, un cabinet est installé. Parfois, les objets du cabinet de l'ancien collège sont repris[cxxxviii] ; d'autres fois, le matériel est  récupéré de différents dépôts avant la Révolution ou provient de cabinets privés, d'établissements, ou de personnes[cxxxix] ; enfin, plus simplement, l'administration départementale verse une somme d'argent pour l'achat de matériel. Mais malgré les efforts consentis par les administrations, les récriminations sont fréquentes : Roulland, pourtant bien installé, se plaint de l'état du matériel, "les instruments sont surannés, la machine pneumatique est faussée, la cloche est cassée" ; il déplore d'être contraint d'apporter de Bourges des instruments prêtés par Sigaud de Lafond qui les a en  double, ou de faire des emprunts au pharmacien de Fontainebleau ; en Loire‑inférieure, "tous les objets d'arts manquent, et les instruments sont imparfaits et rares" ; dans le Cantal, l'absence d'instruments retarde l'ouverture de la chaire ; dans l'Eure, les locaux manquent et les cours se font "au rez-de-chaussée d'une prison, sous les barreaux" ; en Charente, où le cabinet est placé dans cinq "mansardes de démonstration", les locaux sont insalubres ; enfin, dans l'Indre, c'est le manque d'instruments qui éloigne les candidats à la chaire de physique et chimie. Les exigences expérimentales de cette nouvelle discipline mettent à rude épreuve le zèle des administrateurs et la conscience des professeurs : "les leçons d'algèbre (me) paraissent bien plus agréables que celles de chimie, et j'espère n'en pas professer d'autres à la suppression des écoles centrales […] Je sens mieux que cette science est réellement fatigante pour celui qui veut l'enseigner comme il faut. Les dépenses dont on a le souci, la préparation des expériences et le chagrin qu'on a de temps en temps de les voir manquer, tout cela en dégoûte un peu"[cxl].
Dès ses débuts, la physique expérimentale rencontre de nombreux obstacles à sa mise en œuvre. Cette question matérielle va devenir récurrente tout au long des siècles suivants. Malgré cette situation et compte tenu du dénuement initial, un effort certain a été fourni pour la mise en  oeuvre  de la physique et chimie expérimentales dans les écoles centrales.  D'après les diverses sources consultées[cxli], il s'avère qu'en l'an X, la moitié des 67 chaires identidiées peut disposer d'un cabinet de physique ou de chimie dont la composition s'apparente à celle — la plus complète que nous ayons trouvée — du tableau ci-dessous.
Ces collections, rendues nécessaires à l'enseignement expérimental, témoignent des contenus enseignés et affirment le rôle, désormais indispensable, de l'expérience — ou, du moins, son évocation — dans l'enseignement de la physique et de la chimie.
 
Hydrostatique

Hydraulique

siphon à jet d'eau - vis d'Archimède - niveau
tube à 2 branches - bocaux tubulaires en verre
fontaine de Héron - pèse-liqueur - pistolet Volta- tubes divers
Appareil pour démontrer les propriétés de l'eau

Eolipile



L'air


L'air comme mixte
machine pneumatique
fontaine intermittente
fontaine de compression
entonnoir magique
baromètre
hémisphères de Magdebourg
appareil pneumato-chimique
boîte pour faire le gaz carbonique
lampe à air inflammable

Feu et Chaleur

pyromètre - presse pour la fusion de l'or par l'étincelle électrique

Astronomie
globes terrestres - globes célestes
sphère armillaire
Lumière
Couleur
lanterne magique - miroir pour chambre obscure
prisme de verre - miroirs



Appareils pour démontrer les principes
(1)


Des fourneaux (à alambic, de fusion, évaporatoire)
Un soufflet
Alambics en cuivre
Un gradumètre
Une balance (à peser 6 livres)
Petit matériel (cornues, mortiers, flacons, chaudière, capsules, plats, ballons, cloche…)
Produits et réactifs chimiques (acides, potasse, soufre, nitrates, sulfates, muriates, teintures, alcool, éther, sucre cristallisé; huiles volatiles, huiles fixes… )
Appareils pour démontrer la cause de la cohérence entre les parties intégrantes des mixtes

machine pneumatique

Expériences du mouvement

tube pour chute des corps
potence pour chute des graves et réflexion de corps élastiques
Appareils pour démontrer les principes de statique
machine en bois en forme de deux cônes collés par la base
tables ,  planches ,  bois
Électricité
machine électrique - carillon électrique
bouteille de Leyde - électrophore - électromètre
maisonnette pour paratonnerre

Quelques objets des cabinets de physique et des laboratoires de chimie des écoles  centrales[cxlii]



II. La définition de l'expérience en question : descriptions d'instruments, prétexte pédagogique ou rôle utilitaire ?

1. L'expérience, outil de la recherche pour le savant 


C'est à travers leurs écrits, et notamment, dans les ouvrages qu'ils ont publiés pour les lycées, que certains savants ont fait connaître leur conception de la science. On comprend bien que leur ouvrage s'adressant autant aux professeurs qu'aux élèves, indique la référence en matière de connaissances scientifiques à transmettre.  Dès le Premier Empire, et sans doute pour remédier au désordre des contenus enseignés dans les écoles centrales, une commission composée de Laplace, Monge et Lacroix, est nommée pour désigner les livres scolaires[cxliii]. Celle‑ci "n'ayant point trouvé de livres propres à l'enseignement des sciences physiques dans les lycées, propose d'inviter le citoyen Haüy à écrire les Traités de physique, et si ce savant ne pouvait s'en charger, le citoyen Biot serait indiqué pour faire ce travail"[cxliv]. Aussi l'ouvrage d'Haüy constitue‑t‑il le point de départ officiel pour l'enseignement de la physique dans les lycées de l'Empire.
René‑Just Haüy vient, en 1802, d'être nommé professeur de cristallographie au Muséum après avoir été professeur de physique à l’École normale de l'An III, créée pour former les futurs professeurs et instituteurs de la République. Sa notoriété et celle de Jean‑Baptiste Biot explique que les autorités leur aient demandé de rédiger un manuel de physique pour lycéens. Aussi, à défaut de cahiers d'élèves ou de manuscrits de professeurs, inexistants ou inconnus à ce jour et en l'absence d'ouvrages présentant une physique newtonienne ou une chimie moderne, le traité de physique expérimentale d'Haüy [1803] constitue la première base solide d'information pour dresser l'image officielle de la physique des lycées au début du XIXe siècle.  
La philosophie de l'enseignement de la physique défendue par Haüy est présentée dès les premières pages de l'ouvrage : "Le but d'une théorie est de lier au moindre nombre de faits généraux possible, tous les faits particuliers qui en dépendent. […] On s'est attaché à décrire [les faits] exactement, à les bien vérifier, à les multiplier.  Tous ces faits, découverts à différentes époques et par différents observateurs, restaient d'abord comme isolés […] Mais enfin paraissait le génie [Newton] auquel avait été réservé l'avantage de rassembler tous ces anneaux épars et d'en former une chaîne continue qui en montrât la filiation et la dépendance mutuelle.…Ainsi, l'observation et la théorie concourent également à la certitude et au développement de nos connaissances. L'observation [éclaire] chaque fait particulier ; la théorie  [éclaire] l'ensemble des faits […] qui [alors] se rapprochent […] et semblent n'être plus que les différentes faces d'un fait unique […] Le système […] consiste dans une supposition purement gratuite, à laquelle on s'efforce de ramener la marche de la nature [.…] [il] marche ainsi comme au hasard […] en un mot, le système est le roman de la nature, et la théorie en est l'histoire […] [qui] embrasse à la fois le passé et l'avenir ."[cxlv]
Pour Haüy, l'expérience sert à établir les faits ou à les vérifier.  L'énoncé de la théorie vient alors éclairer et réunir l'ensemble des faits qui lui sont communs. La démarche est ainsi une juxtaposition qui permet au professeur de lier l'expérience à la théorie. On comprend bien la démarche souhaitée : exposer les faits et les illustrer par une ou des expériences, puis, les réunir en ce  qu'Haüy nomme une théorie. On retrouve ici la démarche déjà mise en œuvre dans les écoles centrales[cxlvi].
Quant à Jean-Baptiste Biot (1774 - 1862), physicien à la faculté des sciences de Paris, il publie quinze ans plus tard, un traité de physique expérimentale et mathématique (1819) à l'usage des étudiants en sciences. Ses conceptions rendent compte d'une évolution très sensible des rapports entre l'expérience et la formalisation. Il se range ainsi délibérément sous la bannière newtonienne, insistant sur la nécessaire mathématisation de la physique comme complément de la recherche expérimentale : "Beaucoup de personnes, en France et ailleurs, croient que la Physique doit être présentée sous une forme purement expérimentale, sans aucun appareil algébrique. Les Anglais, si éminents dans cette sciences, nous reprochent en général d'y employer trop de calculs, et de la compliquer souvent par nos formules [.…] Plusieurs d'entre eux, qui sont eux-mêmes des physiciens très habiles et très exacts, pensent que la précision dont nous croyons ainsi approcher est purement idéale, parce qu'elle dépasse infiniment les limites des erreurs auxquelles les expériences sont inévitablement sujettes. Cette question mérite d'être débattue. Mais d'abord il faut distinguer l'usage raisonné du calcul de l'abus qu'on en peut faire [...] Mais quand on a observé avec précision les différents modes d'un même phénomène, et qu'on a obtenu les mesures numériques, quel inconvénient y a‑t‑il à les lier par une formule qui les embrasse tous ? S'ils sont réductibles à quelque loi simple, mais qui  pourtant ne s'aperçoive pas du premier coup d'œil, n'est‑ce pas là l'unique voie pour la découvrir ? […] Pour sentir combien cette méthode est sûre et jusqu'où elle peut conduire, il n'y a qu'à voir l'usage que Newton en a fait dans ses recherches sur les propriétés les plus subtiles de la lumière […] il observe [les incidences obliques] et mesure de nouveau sous un grand nombre d'incidences diverses ; il forme une table mathématique de leurs changements ; puis il lie tous ces nombres par une formule empirique qui en reproduit les valeurs avec une approximation presque égale à celle des observations mêmes ; […] possédant l'expression générale, quoique empirique, […] il l'introduit, comme élément, dans toutes les questions [où intervient] l'obliquité d'incidence des particules lumineuses […] je le demande à toutes les personnes de bonne foi qui ont médité cette partie admirable de l'optique […] était‑il humainement possible de définir sans calcul ces intermittences de la lumière, et surtout de les combiner […] de manière à en déduire numériquement toutes les apparences produites par la réflexion à la seconde surface des plaques épaisses, c'est‑à‑dire l'arrangement, les couleurs […] sans aucune autre donnée que l'épaisseur de la plaque, sa nature, sa direction et l'espèce des rayons incidents ?"[cxlvii]
Biot fait bien la distinction entre formule et calculs des mesures. Il prône la recherche empirique d'une loi, et dénonce l'usage abusif de formules toutes faites, ainsi que l'excès de précision. Il montre aussi, dans le passage suivant, quel rôle doit jouer l'expérimentateur en comparaison de l'analyste[cxlviii] : "[…] pour l'électricité, les expériences ne déterminent rien de certain sur sa nature physique, mais elles montrent qu'il faut distinguer deux principes électriques […] doués de propriétés différentes : ensuite les phénomènes de transmission et de distribution à la surface des corps semblent donner à ces principes quelques caractères analogues à ceux des fluides. L'analyse s'empare de ces résultats ; elle conçoit deux fluides impondérables […] elle les doue de propriétés qui représentent les caractères observés ; ensuite, combinant ces propriétés avec les lois générales de l'équilibre des fluides, elle se demande comment de pareils fluides doivent s'arranger dans un corps isolé, ou soumis à d'autres corps, dont la forme et la position sont données. Elle tire ainsi de l'énoncé primitif toutes les conséquences possibles qui en dérivent, et elle demande au physicien si les conséquences sont numériquement confirmées par l'expérience. Si elles le sont, et si cette épreuve, variée de toutes les manières imaginables, a toujours un succès conforme aux indications du calcul, la probabilité des définitions premières devient immense. Tel est le cas […] de l'électricité […] [et de l'analyse] de M. Poisson[cxlix] ; […] pour croire à l'existence réelle de deux fluides, invisibles et impondérables. Mais ce dernier travail de l'analyse, cette dernière et sublime élaboration des produits de l'expérience, n'appartient qu'aux géomètres du premier ordre, et ne saurait s'exiger du physicien expérimentateur. Il faut donc que celui-ci emprunte les résultats de l'analyse, comme il emprunterait des faits, comme un astronome demande un télescope ; qu'il s'en serve pour diriger ses expériences, pour les tourner vers les points que la  théorie annonce être le plus importants ou les plus délicats. Alors, sans avoir besoin de connaissances mathématiques bien étendues, il pourra, par la bonne direction de ses travaux, affermir la science, l'étendre et être utile à l'analyse même […]
[…] Mais pour que cette alliance soit utile, on doit observer avec le plus grand soin deux conditions indispensables : c'est que l'analyse sur laquelle on s'appuie soit rigoureuse, et que les expériences auxquelles on la compare ou qu'on lui confie soient très exactes. Je ne sais même si ce dernier point n'est pas le plus important à recommander. Car après tout, si l'analyse est fausse, l'observation le fera bientôt apercevoir ; au lieu que, si les données fournies par l'expérience sont fautives, l'analyse n'a presque aucun moyen de le reconnaître ; elle ne fait que les combiner, et en déduire rigidement de fausses conséquences."[cl]. Telles sont les conceptions les plus reconnues de la démarche de recherche en physique au début du XIXe siècle : expérience et formalisme cohabitent sans que soient clairement identifiés les choix à opérer. Il n'en demeure pas moins que ces conceptions portent sur une activité de recherche scientifique, bien qu'énoncées dans des ouvrages d'enseignement. Par leur pratique professionnelle, ce sont finalement les professeurs qui ont à charge de définir le statut de l'expérience — et du calcul — dans le cours de sciences physiques.

2. Les conceptions successives de l'expérience dans le cours de sciences physiques

Si l'on examine la situation de l'enseignement des sciences au début du XIXe siècle, dans les lycées ou collèges royaux, il est clair que le point de vue du savant n'est pas encore mis en œuvre[cli]. Chaque professeur assure son cours de physique selon la méthode qu'il juge adéquate compte tenu des conditions concrètes dont il dispose. Généralement, dans les classes de physique élémentaire, sa compétence est jugée par l'inspecteur général, d'après sa capacité à exécuter de nombreuses expériences en classe. De nombreux exemples illustrent la complexité et les contradictions des différentes situations. Tel professeur à Strasbourg est jugé comme bon, faisant beaucoup d'expériences avec soin malgré les médiocres résultats des élèves[clii]. Tandis qu'un autre, Mermet à Pau, enseigne sans instruments. Cela n'empêche pas de le trouver, un peu plus tard, meilleur qu'un autre de ses collègues, Billet, auquel il succédera à Marseille et qui est pourtant reconnu scientifiquement meilleur. Il s'avérera qu'en fin de carrière, inspecté par l'inspecteur général Vieille, Mermet est considéré comme talentueux, avec la précision suivante : "certes, plus mathématicien qu'expérimentateur". Mermet enseigne alors dans la deuxième année de physique en classe de spéciale, classe bien connue par l'excès de formalismeen physique.

La variété règne dans les enseignements de physique. Ces variations ne sont guère étonnantes si l'on considère l'écart que présentent les conseils de Biot d'avec les premiers conseils de méthodes publiés en 1821 à la suite du premier programme de sciences physiques (1819) : "Le professeur lit une partie des rédactions de la leçon précédente faite par les élèves. Il examine les solutions de problèmes. Il interroge sur les leçons précédentes. Il expose la nouvelle leçon"[cliii]. Déjà se marque un certain décalage entre la physique du savant et la physique enseignée : démarche  de recherche ou démarche d'exposition des contenus. La question de l'expérience n'est pas précisément  évoquée.
Pourtant, dès 1830, Thénard rejoint le Conseil royal en 1830 et s'applique par de nombreuses circulaires, à assurer un bon équipement des laboratoires. Quant aux professeurs, ils s'inspirent pour leur cours, des traités ou manuels recommandés par les instances dirigeantes responsables de l'enseignement secondaire. Leurs auteurs étant souvent des professeurs de l'enseignement supérieur comme Biot, de la Faculté des sciences de Paris, Pouillet, du Conservatoire des Arts et Métiers, et professeur de physique à la Faculté des sciences de Paris, ou Péclet, maître de conférences de physique à l’École normale, le niveau des ouvrages dépasse celui d'une classe normale de collège ou de lycée. En outre, il arrive que certains professeurs conduisent eux‑mêmes des recherches tout en enseignant : ils sont alors à la fois enseignants du secondaire et chercheurs. Ceux‑ci privilégient finalement, parfois, leurs recherches et se comportent alors en savants, détaillant à outrance les expériences et amenant l'élève dans des discussions complexes : remarques critiques, souci du détail significatif des qualités de la recherche, intérêt de telles ou telles nouvelles recherches, mise en regard de l'état de la recherche pour mieux convaincre de l'intérêt d'un nouveau dispositif, toutes considérations qui rebutent l'élève, comme en témoignent les exemples suivants illustrant l'excès de minutie pour un élève se préparant au baccalauréat :
"Si, dans les expériences précédentes et dans celles qui vont suivre, l'action d'un simple fil métallique sur les courants mobiles n'était pas assez marquée, on pourrait prendre […] une longue lame de cuivre recouverte de soie, et dont les extrémités seraient mises en communication avec les pôles d'une pile Wollaston."[cliv]
"Dans la combinaison des acides avec les bases […] l'acide prend toujours l'électricité positive, et la base l'électricité négative. C'est le galvanomètre qui va nous servir pour constater cette loi importance. M. Becquerel dispose ainsi l'expérience […]"
"M. de la Rive a découvert le fait suivant, qui est très important pour l'explication de l'affaiblissement qu'éprouve le courant dans les piles ordinaires"[clv].
"Ce serait ici le lieu de parler des chaleurs spécifiques […] des gaz ; mais ces questions élevées sortiraient des limites du programme. M. Regnault a publié en 1840 un beau travail sur les chaleurs spécifiques. Il est inséré dans les Annales de physique et de chimie, t.75, an. 1840."[clvi]
Ce type de cours appelle de nombreuses critiques. On déplore des contenus trop exhaustifs, des approfondissements excessifs qui frôlent la discussion de chercheur, un souci exacerbé de la précision dans les résultats numériques à l'image de la faculté. Une part importante est consacrée aux descriptions d'appareils. Or, presque généralement, dans les cours de physique élémentaire, le professeur a seul, accès aux instruments : "les élèves peuvent bien voir et étudier les instruments sur la table de l'amphithéâtre, alors qu'ils doivent donner l'attention la plus soutenue aux paroles du maître"[clvii]. Celui‑ci insiste sur le dispositif employé, en le dessinant, parfois même avant la description de l'expérience elle‑même, ce qui sera dénoncé : "Presque toujours ces appareils offrent des dispositions accessoires compliquées, sur lesquelles l'attention des élèves s'égare et qui les distraient de l'objet essentiel de la démonstration. [… ] Insensiblement on est venu parfois à subordonner la pensée qu'il s'agit de faire entrer dans l'esprit des élèves à l'appareil qui devrait en être seulement la traduction matérielle ou la vérification"[clviii].
En agissant ainsi, sans doute les professeurs reproduisent‑ils les conseils reçus lors de leur formation à l’École normale où ils ont appris à "connaître […] les principes du dessin exact des machines, les conventions admises, et la manière de tracer les croquis cotés […] de différents appareils de physique, dont les dessins à l'échelle seront exécutés pendant les leçons de dessin"[clix]. Aussi  déplore-t-on que "les professeurs de physique craignent d'aborder l'étude d'une classe de phénomènes quand la machine imaginée par les constructeurs de Paris manque à leur cabinet, comme si cette exposition perdait quelque chose à être faite à l'aide des procédés matériels très simples imaginés par les inventeurs eux‑mêmes, et toujours de nature à être réalisés à peu de frais partout"[clx].
On peut considérer que de tels agissements réduisent l'expérience à la simple description de l'instrument historique qui est à son origine. L'expérience devient ainsi un artifice du cours, un discours sur un objet et son histoire, un accompagnement de l'exposé délibérément séparé du propos, et ceci d'autant plus que les expériences sont parfois réunies ensemble à la fin du cours, ou lors d'une séance spéciale ultérieure, accentuant la coupure entre le propos du cours et son illustration. Une telle présentation de la physique s'apparente davantage à une rhétorique des découvertes scientifiques qu'à une mise en œuvre expérimentale de la science. Quant aux classes scientifiques du niveau physique spéciale, la physique y est mathématisée et coupée de l'expérience : le formalisme principalement constitue l'objectif de la préparation des concours d'admission aux Écoles du gouvernement, en particulier de l'École polytechnique, déjà recherchée des candidats.

3. Une tentative pour promouvoir un enseignement expérimental véritablement concret et mettre l'accent sur l'histoire des découvertes.


En réaction contre cet enseignement surchargé ou trop mathématisé, imposé en aval par certains jurys de concours, notamment celui de l’École polytechnique, Fortoul, ministre de l'instruction publique et des cultes aux débuts du Second Empire, réunit une commission qui doit redéfinir le cadre et les caractères de l'enseignement scientifique, en particulier celui de la physique et de la chimie. Les instructions qui en résultent affirment une conception de l'enseignement reposant sur quatre caractères fondamentaux : l'enseignement doit être dogmatique et élémentaire, expérimental, appuyé par une démarche historique et ouvert sur la vie quotidienne et la pratique[clxi]. L'importance d'exemples pris dans la vie de tous les jours est demandée aux professeurs ; interdiction est faite de dépasser le programme en persistant à enseigner tous les détails de l'expérimentation ou le formalisme mathématique. Par contre, l'évocation de l'historique de la découverte est vivement souhaitée : "[...] il n'est pas permis d'induire les élèves en erreur [...] L'homme n'a pas inventé la physique ; il a saisi des observations données par le haserd ; il en a varié les conditions, et il en a déduit les conséquences […] Quand vous exposez un sujet d’intérêt général, résumez‑en l'histoire ; rendez ainsi familière la logique des inventeurs ; apprenez à vos élèves à connaître et à vénérer les noms des hommes illustres qui ont créé la science."[clxii]   
Ces directives qui prônent une démarche historique en même temps que dogmatique, ne manquent pas de reprendre les contours définis par Auguste Comte : "Toute science peut être exposée suivant deux marches essentiellement distinctes, dont tout autre mode d'exposition ne saurait être qu'une combinaison, la marche historique, et la marche dogmatique."[clxiii]. Ces deux aspects vont effectivement se croiser tout au long du XIXe siècle dans l'enseignement de la physique. Ainsi, "Par le premier procédé, on expose successivement les connaissances dans le même ordre effectif suivant lequel l'esprit humain les a réellement obtenues, et en adoptant autant que possible, les même voies. Par le second, on présente le système des idées tel qu'il pourrait être conçu aujourd'hui par un seul esprit, qui, placé au point de vue convenable, et pourvu des connaissances suffisantes, s'occuperait à refaire la science dans son ensemble. Le premier mode est évidemment celui par lequel commence, de toute nécessité, l'étude de chaque science naissante ; car il présente cette propriété de n'exiger, pour l'exposition des connaissances, aucun nouveau travail distinct de celui de leur formation, toute la didactique se réduisant alors à étudier successivement, dans l'ordre chronologique, les divers ouvrages originaux qui ont contribué aux progrès de la science. Le mode dogmatique, supposant, au contraire, que tous ces travaux particuliers ont été refondus en un système général, pour être présentés suivant un ordre logique plus naturel, n'est applicable qu'à une science déjà parvenue à un assez haut degré de développement. Mais, à mesure que la science fait des progrès, l'ordre historique d'exposition devient de plus en plus impraticable, par la trop longue suite d'intermédiaires qu'il obligerait à parcourir ; tandis que l'ordre dogmatique devient de plus en plus possible, en même temps que nécessaire, parce que de nouvelles conceptions permettent de présenter les découvertes antérieures sous un point de vue plus direct."[clxiv].
Les conclusions des instructions officielles concernant la physique résument bien les nouvelles directions : "1) caractériser exactement le procédé des inventeurs toutes les fois qu'il s'agit d'une grande classe de phénomènes ; 2) s'astreindre, autant que posible, à l'emploi des appareils et des procédés les plus familiers ; 3) laisser à l'enseignement des facultés les détails les plus compliqués, réservés aux savants ; 4) se borner à l'exposition des idées simples, dont tout le monde a besoin de faire usage : telles doivent être les règles à suivre dans l'enseignement de la physique"[clxv] Pour la première fois, on tente officiellement de cerner la place de l'expérience et celle de la mathématisation. C'est à un véritable retournement de méthode que l'on invite : il faut réhabiliter l'observation du fait expérimental et centrer l'enseignement sur lui.
La démarche inductive est longuement rappelée à propos de la chimie : "S'adressant d'abord aux sens, il doit partir de l'expérience fondamentale, toutes les fois que le sujet le permet, en fixer les conditions, en mettre en relief toutes les circonstances, obliger les élèves à s'en rendre compte par eux-mêmes, puis fonder l'édifice de sa discussion sur cette base solide Lorsqu'il s'agit de ces expériences qui ont donné naissance à une grande théorie, comme l'analyse de l'air par Lavoisier ; qui ont servi à une grande application comme l'action décolorante du charbon […] loin de glisser sur les détails, le professeur doit suivre ces expériences dans tout leur cours, les peindre à mesure qu'elles s'effectuent, attirer sur elles l'œil de l'auditoire, en prévoir les diverses phases, les annoncer, en expliquant les accidents, en un mot, concentrer sur elles toute la puissance d'attention des élèves. […] Envisager la chimie comme une conception pure de l'esprit et les faits comme un complément d'information, dont à la rigueur on pourrait se passer, c'est enseigner, non la chimie, mais une science fausse"[clxvi]. Le professeur doit fonder tout l'édifice de sa discussion sur cette base solide, donc, aller du connu à l'inconnu "car c'est dans la nature, bien plus que dans les livres, qu'il faut chercher des inspirations"[clxvii]. Ce faisant, l'expérience est réhabilitée et placée au coeur du dispositif d'enseignement et non réservée à la fin du cours, comme une preuve superflue et inintéressante dont se désintéressent les élèves. "Comme il [le professeur] est cru sur parole et que, de leur côté, les élèves convaincus d'avance, ne croient plus avoir le moindre effort à faire, les expériences sont rejetées au second plan"[clxviii]. Le professeur est donc invité à préparer ses cours dans le laboratoire en prenant part à la disposition matérielle des expériences plutôt qu'en se plongeant dans les livres. Et dans son enseignement, souvent encore trop traditionnel où "[il] dicte les leçons et exige des élèves de longues rédactions, procédé qui est surtout propre à exercer la mémoire"[clxix], le professeur est prié de "montrer comment on observe un fait et comment d'un fait qu'on observe bien soi‑même on tire des conséquences précises"[clxx]. Cette incitation au changement de pratique pédagogique devrait aller de pair avec la nouvelle démarche d'apprentissage. Il s'agit‑là d'une tentative d'innovation caractéristique de la réforme de la bifurcation conduite par Fortoul.
Pourtant, malgré le caractère progressiste de ces dispositions, la mise en application de la réforme se heurte à de nombreuses ambiguïtés qui conduisent vite à son abandon. Plusieurs facteurs y contribuent. Tout d'abord, celui d'ordre social et culturel, tenant au dispositif réactionnaire dans lequel s'insère la réforme : le lycée a pour mission de former les élites libérales, les classes dirigeantes dont l'aisance, les aptitudes relationnelles, et le "bon" goût sont très recherchés ; il est majoritairement fréquenté par les enfants de notables pour lesquels la science doit seulement constituer un élément — la connaissance du monde — participant de la culture philosophique. Aussi, les exigences de la formation ne se satisfont-elles pas du caractère utile des études scientifiques, défendues pas Dumas et les industrialistes, instigateurs d'une formation scientifique renforcée, indispensable au développement scientifique de la France.
En même temps, cette réforme présente une autre ambiguïté technique : elle va, de fait, conduire au regroupement non seulement des futurs scientifiques de la nation, mais aussi, des élèves relevant d'un enseignement intermédiaire — entre l'enseignement primaire et l'enseignement des classes supérieures des lycées[clxxi] — pour les professions industrielles et commerciales[clxxii].  D'où l'hétérogénéïté des classes scientifiques, et la faiblesse des candidats au baccalauréat, ce qui discrédite la filière. Enfin, violemment défendu par les cléricaux et l'église, l'argument idéologique se retranche derrière les vertus de l'idéalisme  et la conformité au comportement attendu des notables : la matérialité présumée des sciences renforcerait le matérialisme et inciterait au débordements tels ceux des journées de 1848. C'est, dans un contexte qui a donné naissance à la loi Falloux [1850] que Fortoul — sans doute pour contrer ces accusations et faire allégeance aux réclamations des partisants de l'enseignement classique, surtout à l'Eglise — met en valeur l'avantage pour les classes dominantes, d'un enseignement scientifique bien conduit : "Exposée de la sorte, la question ne trouvera jamais d'intelligence rebelle dans le jeune auditoire des lycées."[clxxiii]
Dans les instructions officielles de physique, le rapport fait/théorie n'est cependant pas aussi clairement exposé qu'en chimie. La théorie doit “s’appuyer ou [être] démontrée par des faits précis et concluants'[clxxiv]. Si, en chimie, on doit partir du fait pour construire la loi, on se limite en physique, au simple rappel des faits. La seule présentation du fait concret doit permettre d'appuyer ou de "démontrer" la théorie. Elle est suffisante pour conduire à l'objectif principal : l'admiration des phénomènes et l'apprentissage des lois. On remarquera que la démarche est toujours de type déductif, et que l'élève est invité à mémoriser une suite de vérités qui constituent pour lui un panorama de faits et de lois. Il n'y a donc pas à proprement parler, comme en chimie, de démarche inductive qui, des faits aboutirait aux lois. Toutefois, on peut dire qu'une certaine influence du positivisme commence à poindre dans l'enseignement des sciences, plus apparent en chimie qu'en physique. D'ailleurs, le caractère expérimental s'attache davantage à la chimie : le plan d'études de la bifurcation prévoit des exercices pratiques seulement en chimie pour les élèves de la classe de physique spéciale[clxxv] tandis qu'en physique, aucune manipulation n'est prévue. Seul le professeur montre, ou fait montrer les expériences de physique considérées comme cruciales. Le plus souvent, il se contente de présenter une copie de l'instrument, ce qui lui donne l'occasion de "raconter" la découverte et d'évoquer l'expérience du savant ainsi à l'honneur.
Les lycées disposent généralement dès la deuxième moitié du siècle, de cabinets de physique équipés, comme semblent le confirmer les listes des collections scientifiques adressées au ministre dès après 1842, sur demande des inspecteurs généraux[clxxvi]. Celles‑ci font apparaître qu’à partir de 1837, les cabinets de physique et laboratoires de chimie des établissements les plus importants en France, comprennent une moyenne de 250 objets[clxxvii]. Leur classement est établi selon les rubriques suivantes : Mouvement et pesanteur, Hydrostatique, Dynamique, Pneumatique, Chaleur, Électricité, Galvanisme, Magnétisme, Electromagnétisme, Acoustique, Optique, Météorologie, Chimie. A ce propos, il convient de souligner encore le rôle irremplaçable de Thénard dans le développement des cabinets de physique et des laboratoires de chimie des établissements secondaires. Fervent défenseur des sciences physiques et acteur infatigable dans la mise en œuvre de leur enseignement, Thénard apparaît toujours comme le maître d'œuvre incontesté de l'équipement des cabinets de physique, comme en témoigne Dumas dans une lettre au ministre de l'Instruction publique : "M. Thénard [… ] à qui les collèges doivent tous les progrès sérieux qu'ils ont fait depuis 1830, s'ils n'en ont pas fait davantage. Mais qui donc ignore que dès 1831 M. Thénard réclamait avec la plus haute conviction tout ce qu'on essaie d'organiser aujourd'hui ? Qui ne sait que sa sagesse a préparé de longue main le moyen d'exécution que l'on va mettre à profit, en reconstituant dans  tous les collèges le matériel des cabinets de physique, en y créant des laboratoires de chimie ?"[clxxviii] La vigilance apportée au problème des manipulations a d'ailleurs conduit à différentes circulaires ; ainsi le 24 octobre 1837, paraît le programme des manipulations de physique et du dessin des machines à l’École normale ; cinq ans plus tard, le 27 décembre 1842 paraît la liste des instruments de physique dont chaque collège doit être pourvu pour l'exécution du programme de physique arrêté le 23 septembre 1842, puis celle, le 27 janvier 1843, pour les instruments de chimie et les produits chimiques. Pour appuyer la circulaire, en suit une autre relative aux achats de matériels scientifiques : un délégué parisien, Masson, professeur au lycée Louis‑le‑Grand est nommé comme correspondant pour la province. Telles sont certaines des mesures dues à Thénard qui ont pu contribuer au développement du caractère expérimental des sciences physiques dans les lycées ou collèges dès avant 1850. Il est important de noter combien cet aspect matériel s'identifie à l'enseignement expérimental de la physique.
Les cabinets de physique achèvent ainsi leur premier équipement dans les années 1830  - 1850. Ils comprennent alors, généralement, une machine pneumatique, une machine électrostatique[clxxix], des appareils divers pour chute des corps, telle la machine de Morin.

 

Machine de Morin 

M. Morin, directeur du Conservatoire des arts et métiers, a fait construire récemment, pour démontrer les lois de la chute des corps, un appareil dans lequel le mouvement de rotation uniforme d’un cylindre en papier est combiné avec le mouvement d’un corps qui tombe, de manière que celui‑ci, à l’aide d’un pinceau trempé dans l’encre de Chine, décrit, sur le papier, une courbe qui représente la loi du mouvement. (L’idée première de) cet appareil … est due à M. Poncelet.”[clxxx].

Les collections renferment aussi différentes pompes aspirantes ou foulantes. Des appareils conçus par les savants français : appareil de Gay‑Lussac, de Dulong, de Regnault. De nombreux instruments de mesure. Aimants, batteries électriques de toutes sortes, condensateurs figurent dans les collections. De même en chimie, une cuve pneumato‑chimique pour le recueil des gaz opéré sous cuve à eau.


 Appareil de Gay‑Lussac

“Deux méthodes ont été suivies pour déterminer la densité des vapeurs : la première, due à M. Gay‑Lussac, est applicable aux liquides qui entrent en ébullition au‑dessous de 100 degrés ou peu au‑dessus, la seconde, due à M. Dumas, permet d’opérer à des températures qui peuvent aller jusqu’à 400 degrés environ.
L’appareil de Gay‑Lussac se compose d’une marmite en fonte remplie de mercure dans lequel plonge un manchon de verre…plein d’eau ou d’huile… à l’intérieur duquel est une cloche graduée d’abord remplie de mercure… (dans laquelle on plonge) une petite ampoule de verre fermée à la lampe… et renfermant le liquide à vaporiser. Par la dilatation du liquide sous l’effet de la chaleur, celle‑ci éclate… tout le liquide est réduit en vapeur.”[clxxxi]

La mise à jour des listes chaque année durant dix ans, témoigne du souci de l'administration d'assurer aux professeurs une pratique expérimentale de l'enseignement de la physique. Il n'en demeure pas moins que, malgré les nouvelles recommandations, l’utilisation des instruments continue de s’inscrire dans une logique de la présentation qui consiste le plus souvent, à énoncer la loi puis à décrire l'expérience qui la confirme : c'est ce que les professeurs nomment une démonstration, ou une vérification de loi.

4. Des applications pour une physique utile


L'insistance portée à l'expérience, ainsi qu'à ses instruments, souligne l'importance de l'aspect matériel dans l'expérimentation que la réforme de la bifurcation promeut avec les textes officiels sur la physique scolaire. De l'instrument aux objets techniques utilisés dans la vie courante par les ménages ou les particuliers, l'industrie, etc…, l'écart n'est pas loin, aussi, invocation est faite aux professeurs, dans les textes officiels, de prendre appui sur la physique du quotidien comme application de la physique. On peut voir là un exemple significatif du XIXe siècle, comme siècle à l'origine — encore vivace — d'une vision de la technique[clxxxii] comme terrain d'application de la science, dans un rapport hiérarchique de la primauté de la science défendu par Dumas à l'instigation duquel  Fortoul explique que "la science, sans perdre de sa dignité, peut descendre à l'explication  des pratiques les plus usuelles des arts, de l'hygiène et même de l'économie domestique"[clxxxiii].
Contrairement aux subtilités de la recherche savante, l'ouverture aux applications quotidiennes de la science introduit donc une dimension familière et pratique de l'enseignement des sciences physiques, lesquelles s'inscrivent alors dans l'utile — ce qui encore une fois, après les tentatives des écoles centrales, rompt avec la nature désintéressée et abstraite que, jusqu'alors, cet enseignement présentait[clxxxiv]. Avec ces nouvelles instructions, des descriptions d’objets techniques illustrant les applications de la science vont, à partir de la deuxième moitié du siècle, s’additionner aux descriptions de matériel scientifique (dispositifs expérimentaux, des instruments de mesure et autres machines de laboratoire). Il en résulte un accroissement important des ouvrages ainsi qu'une surcharge des programmes. L'alourdissement des cours devient manifeste : non seulement l'allure générale des cours demeure celle d'un exposé de faits et de lois, mais  aucune formation expérimentale n'est véritablement mise en œuvre. L'expérience est court-circuitée par une description instrumentale aux évocations historiques. La mémoire est surchargée d'informations sur les objets de la vie quotidienne, comme on peut en juger par l'exemple du cours d'électricité de Langlebert (1892):


Chapitres
Applications
Matière
Traitement mécanique des métaux et la résistance des matériaux
Hydrostatique
La presse hydraulique
Étude des gaz
Pompes et tirage des cheminées

La météorologie
Chaleur
La machine à vapeur, classification et perfectionnements
La machine à gaz
Effets chimiques des piles
Galvanoplastie, argenture et dorure
Électro‑magnétisme
Télégraphe et sonneries électriques
Induction
Les nouvelles machines d'induction, machines magnéto‑électriques et dynamo‑électriques  de Gramme
Électricité
Éclairage
Applications
Téléphonie, microphonie, photophonie, phonographe
Optique
Photographie, phototypie et photogravure

    Applications du cours d'électricité de l'ouvrage de Langlebert (1892)[clxxxv]


Finalement, dans la conception des cours de physique et chimie, la démarche est trop souvent expositive. Elle consiste d'abord à énoncer la loi inscrite au programme, puis présenter les instruments illustres dont la description accompagne le récit de l'expérience, généralement rapportée plutôt qu'effectuée. Tout ceci peut donner à penser que le professeur ne souhaite pas — ou ne se sent pas capable de — faire l'expérience lui‑même. C'est finalement, davantage la formation expérimentale des professeurs qui se pose, plutôt que leur bonne volonté.

 

5. L'expérience dans la formation des professeurs de sciences physiques


Jusqu'en 1840, les professeurs de mathématique et de sciences physiques des lycées reçoivent une formation scientifique relativement homogène : ils doivent tous obtenir une agrégation de sciences unique qui nécessite de posséder les deux licences de mathématiques et de sciences physiques. Les épreuves comportent, mis à part les compositions de lettres : 1°) la solution  d'une ou plusieurs questions de physique 2°) la solution d'une ou plusieurs questions de mathématiques[clxxxvi]. Les questions orales ont pour objet les matières de l'enseignement du cours de mathématiques de seconde année de philosophie, et du cours correspondant de physique — où la physique est essentiellement centrée sur les formules.
La seule spécialisation expérimentale est reportée en dernière classe de l'École normale où les futurs professeurs se préparent à l'agrégation et à leur spécialité ; à ceux qui envisagent avec certitude d'enseigner les sciences physiques, on offre quelques séances d'ateliers et de manipulation. Apparaissant comme une option non prise en compte aux épreuves de l'agrégation, cette initiation expérimentale pratique n'est pas valorisée. En fait, la spécialisation est laissée à l'appréciation de chacun, dès que sont connus les résultats à l'agrégation de sciences. Le plus souvent, cette situation favorise les mathématiques dont  l'enseignement jouit à cette époque d'un prestige plus grand que celui de la physique, en partie par les revenus qu'il peut procurer. Au lycée Rollin, par exemple, un tableau récapitulatif des heures particulières accordées aux professeurs pour le premier semestre 1864 laisse apparaître que seulement quatre professeurs de mathématiques sont concernés ; au lycée de Versailles, un seul élève demande à la même époque, des heures particulières en physique. C'est ce qu'explique à son fils le père de Pasteur : " Sans vouloir contrarier ta façon de voir, je te verrais avec plus de satisfaction sortir pour les mathématiques, attendu que c'est plus lucratif […] puis à mérite égal, le plus savant, le mieux considéré, sera celui qui aura la bourse la mieux garnie, ainsi va le monde, n'en pas tenir compte est à mon avis une grande sottise"[clxxxvii]. On comprend pourquoi, lorsqu'ils doivent choisir leur affectation, les agrégés de sciences préfèrent les mathématiques quand il s'agit d'opter pour un poste. Thénard tentera vigoureusement de s'y opposer : comme membre du Conseil royal d'instruction publique, il se précipitera, dès les résultats, auprès des premiers agrégés auxquels il offrira, pour tenter de les attirer, de bons postes en sciences physiques avant même qu'ils aient émis un vœu[clxxxviii]. Mais la situation est trop incertaine pour garantir une motivation forte en faveur de l'enseignement des sciences physiques. Le poids des mathématiques demeure incontournable.
En 1840, Victor Cousin tente de trouver une solution. Il scinde l'agrégation des sciences, et crée une agrégation des sciences mathématiques et une des sciences physiques et naturelles[clxxxix]. Il s'en explique en alléguant la prédominance des mathématiques qui, selon lui, met à l'écart les sciences physiques et naturelles : "Jusqu'ici les sciences mathématiques et physiques étaient confondues dans la même agrégation. Il en résultait ce grave inconvénient que, l'agrégation embrassant des épreuves très diverses, les candidats qui s'y préparaient avaient plus d'étendue que de profondeur dans leurs connaissances, et cette inconséquence, qu'après avoir passé le concours, les agrégés admis étaient appliqués à des enseignements différents, les uns aux mathématiques, les autres à la physique et à la chimie. Enfin, il faut dire, la physique et la chimie, la physique surtout n'étaient pas suffisamment représentées dans ce concours unique, et les sciences naturelles n'y jouaient aucun rôle : ce qui condamnait l'Université à chercher des maîtres pour les sciences naturelles en dehors de l'agrégation et de l'école normale qui y prépare"[cxc]
Mais, pour autant, aucune épreuve expérimentale n'est introduite à la nouvelle agrégation. La nouvelle mesure ne se traduit pas par des changements notables dans la pratique de l'enseignement des sciences physiques. Ce que critique le ministre de l'Instruction publique et des Cultes Hippolyte Fortoul en 1853 : "pour le plaisir de briller par une érudition contestable et par une gravité précoce, on avait peu à peu mis en oubli les conditions laborieuses et modestes de l'art d'enseigner […] ; les concours de l'agrégation [n'étaient que] d'ingénieux tournois […] [et] l'utilité pratique des résultats ne répondait pas aux espérances [...]. Trop souvent les agrégés, vainqueurs de leurs rivaux, étaient de médiocres professeurs"[cxci].
Fortoul incrimine la compétence pédagogique des professeurs, et pour cela, donne le primat de son acquisition à l'usage : c'est en enseignant sur le terrain que le professeur va se former. Il n'est pas question de théorisation de la formation. Telle est la conception alors en vigueur chez Fortoul. Cette considération a le mérite d'être économique : la réforme crée un véritable appel d'air dans l'ouverture de postes de professeurs, et la mise sur le terrain comme lieu de formation, permet d'y placer les futurs jeunes professeurs. Dans cette logique du primat aux compétences pédagogiques, Fortoul prend deux mesures principales qui changent la physionomie du concours, et sa signification : suppression des divisions de l'agrégation par le rétablissement d'une agrégation unique de sciences, et introduction d'une épreuve pratique en remplacement de l'épreuve d'argumentation, jugée trop théorique, dans les épreuves orales, toutes consacrées désormais aux matières enseignées dans les collèges[cxcii]. C'est clairement signifier que le niveau d'enseignement dans les lycées ne recquiert pas un haut niveau théorique pour le professeur, et que la préparation de l'agrégation passe aussi par une immersion dans les classes.
Cette nouvelle épreuve constitue une mesure d'importance pour les sciences expérimentales. Elle s'inscrit dans la ligne déjà défendue par Dumas, du renforcement de l'aspect expérimental dans l'enseignement et du caractère pratique qui devrait s'y introduire, tant pour l'enseignement des mathématiques que pour celui des sciences physiques. Déjà dans son rapport de 1847 au Ministre de l'Instruction publique sur l'enseignement sciences physiques, il déclare : "La Faculté envisage l'étude des mathématiques comme une étude longue, lente, s'appuyant sur de nombreuses applications à des questions bien choisies et puisées dans les réalités de la vie", et, "Il faut rendre à ces  études [les sciences physiques] leur caractère. Elles doivent être calculées pour la masse des élèves, et il importe pour atteindre ce but de les faire rentrer dans un ordre d'idées plus expérimental et plus pratique"[cxciii]. Aussi, l'épreuve pratique introduite à l'agrégation doit‑elle permettre aux futurs professeurs de montrer qu'ils savent "préparer une expérience et la mener à bien, analyser un corps […] en d'autres termes, joindre jusqu'à un certain point à la théorie, la pratique qui l'éclaire et la justifie"[cxciv]. Les sujets d'épreuves pratiques du concours d'agrégation de 1856, présidé par J.B. Dumas, se présentent bien comme des questions pratiques à résoudre[cxcv]. L'objectif de Dumas, est d'obtenir de bons professeurs dont il donne ainsi la définition :  "Le véritable talent d'un professeur consiste surtout dans la manière d'entendre et d'embrasser dans son ensemble le sujet d'une leçon, d'en saisir l'esprit et de le montrer, d'en classer et coordonner les détails en les rattachant à un système général dont on montre la trame. Or ce talent a été marqué chez les naturalistes. Il s'est encore manifesté, à un certain degré chez les physiciens […]"[cxcvi] On remarquera que ses critères portent davantage sur les qualités pédagogiques du professeur que sur son aptitude à mener des activités expérimentales dans son cours.
L'épisode de la bifurcation aura tenté de mettre l'accent sur une formation expérimentale des professeurs de sciences physiques plutôt que d'exiger des capacités à l'agrégation. Mais finalement, ce sera au détriment des connaissances par limitation des spécialisations. La mise en pratique dans les classes ne s'effectuera pas selon les prévisions espérées. Les professeurs maintiendront leur système d'enseignement, parlant d'expérience à propos de lois, présentant les instruments en guise d'expérience, et finalement, menant un discours rhétorique sur la science, propre aux futurs notables que sont les élèves de l'enseignement secondaire.
Lourdeur des programmes, méthodes centrées sur la mémoire, et bientôt, conjonction de facteurs socio-économiques, scientifiques et montée des nouvelles couches intermédiaires — pour lesquelles l'enseignement secondaire est inadapté — sont autant de signes annonciateurs de changements à venir. Une réforme d'inspiration positiviste des études secondaires va bouleverser les études scientifiques. Avec la question des méthodes d'enseignement, l'expérience verra bientôt sa place, sa nature et son rôle repensés dans l'enseignement des sciences physiques.

III. L'expérience : outil d'enseignement dans une conception positiviste de la science

1. Induction et modernisme pour un nouvel enseignement des sciences


Jusqu'ici, on se souvient de la lourdeur des programmes, mais aussi, et surtout, du principal grief fait à l'enseignement secondaire : qu'il soit classique et centré sur les humanités, ou moderne[cxcvii] au service de l'enseignement des sciences, la question des méthodes d'enseignement rallie tous les détracteurs de l'enseignement secondaire. Les critiques du plan d'études vont bon train : trois tendances s'affirment. En premier, l'opposition traditionnelle des Anciens et des Modernes se poursuit sur la question de la prééminence des langues anciennes ; en second la querelle des scientifiques et des littéraires sur la question des méthodes, les scientifiques reprochant aux littéraires de n'être pas assez modernes, ces derniers voulant simplement une réforme méthodologique des études classiques ; enfin l'appréciation contraire portée sur les fins de l'éducation : sera‑t‑elle utilitaire, comme le reprochent les littéraires aux scientifiques ? ou au contraire désintéressée, selon leurs propres convictions ? Tels sont les antagonismes complexes devant le plan de 1880[cxcviii].
A ceux-ci, s'ajoutent ceux, tel Berthelot, célèbre chimiste et membre du Conseil supérieur de l'Instruction publique, qui s'insurge contre l'oubli de l'enseignement des sciences. Déjà dans La Revue des deux mondes,  (15 mars 1891, p. 362), après avoir comparé les effectifs des élèves qui entrent dans les classes de mathématiques élémentaires ou de préparation à St Cyr au sortir des classes précédentes, le pourcentage en faveur des scientifiques est écrasant[cxcix], ce qui fait dire à Berthelot : "la grande majorité des élèves qui veulent concourir pour les écoles du gouvernement échappent vers la fin de leurs études aux cadres de l'enseignement classique". Il est, en effet, clair que l'étude des lettres anciennes dans leur totalité, ne servent pas vraiment les exigences des concours des grandes écoles, dont le programme porte majoritairement sur les mathématiques puis les sciences.
Les conceptions positivistes qui prévalent à la mise en œuvre de la réforme de 1902 appellent une conception nouvelle de l'enseignement.  Déjà, en son temps, Jules Ferry avait lancé "(nous avons voulu) mettre les leçons de choses à la base de tout."[cc] La commission des réformes sur l'enseignement scientifique instituée en 1888, sous‑présidée par Berthelot et à laquelle participent Gréard, vice‑recteur de l'Académie de Paris, Boutan inspecteur général de l'enseignement public (et ancien professeur de physique), Fernet, inspecteur général de l'enseignement (et aussi ancien professeur de physique à Paris), Liard, directeur de l'enseignement supérieur, Bréal du collège de France, Mlle Provost, directrice du lycée Fénelon, précise dans son rapport "(qu'il serait) utile de donner  aux élèves un commencement d'initiation à cette méthode (la méthode expérimentale), la plus féconde de toutes, dans laquelle des faits bien analysés fournissent au raisonnement son point de départ, sa rectification ou sa preuve. On demandera donc au professeur, de servir son enseignement à la culture de l'esprit, en d'autres termes à le rendre éducatif"[cci]. On retrouve les ambitions déjà anciennes d'un apprentissage formateur d'esprit — que n'a -t-on vanté "la tête bien faite plutôt que bien pleine" d'un Rabelais. Et celles, proclamées notamment par Condorcet au XVIIIe siècle, d'une science éducatrice, formatrice de l'esprit humain[ccii].
Comme le clame Berthelot, il convient d'instaurer "[un enseignement qui ne soit pas] un second enseignement classique, symétrique et parasite du premier… mais à côté du vieil enseignement classique que beaucoup de familles désirent conserver, [qui mette en œuvre] des formules nouvelles, d'un ordre tout différent, appropriées aux vœux d'un autre groupe de familles"[cciii]. C'est ce que Liard nomme des "humanités scientifiques" affirmant ainsi la dualité de la culture idéale, considèrant que "les études scientifiques doivent comme les autres, contribuer à la formation de l'homme. Elles sont donc, elles aussi, à leur façon, des "humanités", au sens large du mot."[cciv] 
Après l'échec des écoles centrales, dû en partie à l'absence d'enseignement religieux, puis de la bifurcation qui, en insistant sur une approche concrète de l'enseignement scientifique faisait des sciences les égales des lettres, ce recours au positivisme, une fois encore dans l'enseignement scientifique, s'inscrit dans une nouvelle tentative d'installer durablement cet enseignement dans l'enseignement secondaire. Et pourtant, les conditions ont changé, et avec elles,  les conceptions du positivisme mises en avant dans chaque réforme. Il est intéressant de revenir sur ces échecs.
De l'Empire à la loi Falloux, le contrôle des esprits par la direction de l'enseignement — qu'il soit primaire ou secondaire — est un enjeu toujours disputé par l'Eglise à l'Etat. La question de l'enseignement primaire est provisoirement réglée par la loi Guizot (1833) qui consacre la liberté de cet enseignement. Dès lors, la querelle scolaire va se déplacer sur l'enseignement secondaire. Les fortes revendications catholiques vont constituer une pression d'autant plus forte que la position de l'Église se popularise et marque le début des évènements révolutionnaires de 1848. L'Église apparaît comme le meilleur rempart de l'ordre social. C'est dans un contexte de compromis qu'est votée la loi Falloux (15 mars 1850). Lorsque le second Empire, à l'instigation de quelques universitaires scientifiques, entreprend de rénover les études secondaires scientifiques, il leur faut rassurer : Fortoul va montrer, par ses instructions officielles, que l'enseignement des sciences — à condition d'user de bonnes méthodes — sert de rempart aux débordements de la jeunesse : "[…] Persuader aux jeunes gens que l'esprit humain pouvait se passer du fait qui sert de base à chaque découverte importante, qu'il pouvait créer la science par le raisonnement seul, c'est préparer au pays une jeunesse orgueilleuse et stérile. Elle dédaignera le gland d'où doit sortir le chêne ; elle méprisera ce fait insignifiant, ce germe inaperçu, toujours nécessaire, d'où le génie part pour doter l'avenir de forces et de lumières nouvelles ; elle se complaira dans la contemplation de ces abstractions qui arrêtent les esprits justes et qui égarent les esprits faux dans toutes les misères, dans toutes les vanités.[ccv] En quelque sorte, introduire dans l'enseignement expérimental la référence historique aux savants et la révérence pour ces grands hommes, porter l'accent sur le fait, relier aux applications de la vie quotidienne, tels sont les gages que l'enseignement public propose pour répondre aux craintes d'une société encline à se réfugier derrière les valeurs de l'Église et son idéalisme, et pour maintenir l'ordre social. A la fois, calmer les jeunes esprits par la modestie de l'étude des phénomènes concrets, et l'honneur rendu aux hommes illustres ; mais  aussi — contrairement à l'accusation de matérialisme portée par l'Église, et pour la contrer — élever l'esprit : "Quand il s'agit de marquer le premier jet de la pensée humaine, son origine, il n'y a rien de plus beau, de plus fécond et de plus moral que la vérité. […] Rien de plus beau, car quiconque cherche dans les documents originaux la marche suivie par les inventeurs dans la découverte de toutes les idées mères, demeure charmé de cette étude. […] Rien de plus moral, car, en rendant justice à celui à qui nous devons le bienfait d'une invention, ils [les professeurs] feront un acte de probité, dont il est d'autant plus nécessaire qu'ils donnent l'exemple à leurs élèves que ceux-ci ne trouveront que trop souvent des maîtres enclins à s'en dispenser"[ccvi]
Ainsi, l'étude du monde naturel est une occasion de moraliser l'enseignement et donc, de renforcer l'enseignement public. Quant à son efficacité en faveur du pays, elle est assurée par un recentrage sur le fait expérimental et les applications quotidiennes : d'où une science simple, que l'on reconnaît et qui sert dans la vie. Au risque de rabaisser l'étude, ce trait de l'enseignement expérimental qui s'inscrit aussi dans les options Saint-Simoniennes du Second Empire est tempéré par l'idée que l'approche expérimentale de la physique concrète élève alors la pensée de l'élève : "Bien enseignée, la physique élargit et élève la pensée. Elle embrasse, en effet, les phénomènes les plus merveilleux ; elle maîtrise les forces les plus mystérieuses ; elle explique les manifestations les plus redoutables des puissances de la nature. Qu'elle se garde donc d'abaisser son point de vue, et qu'elle n'oublie pas d'apprendre à admirer les phénomènes et les lois du monde, pour concentrer toute l'attention des élèves sur les appareils qui en donnent la mesure précise ou qui servent à les constater."[ccvii] L'étude de la science sous la bifurcation s'inscrit donc dans une vision pratique et morale, réhabilitant le fait pour le fait — déjà positif, selon la philosophie Saint-Simonienne — et envisage l'étude pour l'utilité de ses applications et le développement du pays. Si cette conception constitue alors une avancée dans la mesure où le fait expérimental (et non la loi a priori) fonde l'enseignement, sa rapide suppression dans les années 1859 - 1860 marque l'abandon d'une première approche de type positiviste.
Car l'attachement des notables à une formation par les valeurs traditionnelles, leur peur d'une dévaluation du diplôme par une filière scientifique sans latin, la confusion qui marque l'hétérogénéïté du public de la filière scientifique — certains s'y trouvant faute d'enseignement scientifique intermédiaire, d'autres venant préparer les concours des écoles du gouvernement — enfin, l'adhésion idéologique des professeurs qui, persuadés d'être eux-mêmes proches des notables, en reprennent majoritairement les valeurs[ccviii] et refusent systématiquement quant ils sont mathématiciens (les mathématiques, toujours dominante parmi les sciences) d'accorder aux sciences expérimentales une place censée leur prendre du temps sans bénéfice pour l'esprit ou, lorsqu'ils font partie des jurys de baccalauréat, dénoncent la détérioration du niveau des candidats dans les épreuves non scientifiques, autant de raisons et d'intrications qui conduisent à l'échec de la réforme de la bifurcation.
La nouvelle conception positiviste qui marque la réforme de 1902 va tenter de donner une autre image des sciences expérimentales, ne serait-ce que par la place différente de l'expérience qu'elle propose, par l'usage qu'elle en propose et la démarche qu'elle revendique[ccix]. Il faut se souvenir, pour cela, qu'un quart de siècle après la bifurcation, l'enseignement de la physique a repris les pratiques antérieures reposant — comme en mathématiques — sur des méthodes déductives. Par exemple, en physique, "à chaque […] loi que l'on énonce, on joint la description détaillée d'un instrument particulier, on se complaît dans cette description, on y insiste, et petit à petit, dans l'esprit de l'élève, l'appareil prend des proportions énormes [… ] ; il servait à vérifier une loi, il se substitue [… ] à la loi elle‑même"[ccx]. L'inspecteur général Lucien Poincaré déplore l'inadéquation de ces anciennes pratiques pédagogiques à la formation du jugement de l'élève  : "Si nous confrontons […] les procédés pédagogiques employés dans les lycées… avec les résultats que l'on désirerait obtenir, que de fâcheux désaccords […] L'enseignement […] s'astreint encore à des méthodes transmises de génération en génération ; pour ne citer qu'un exemple, combien de professeurs ayant à parler de l'électricité, en face de ces machines si simples et si puissantes, d'un emploi si pratique et qui sont d'ailleurs des applications presque immédiates de lois très nettes et très claires, se croient cependant obligés de commencer leurs cours par la description de phénomènes, anciennement connus il est vrai, mais aujourd'hui encore très obscurs, et s'évertuent pour tirer une maigre étincelle d'un morceau de verre frotté avec la peau de quelque malheureux chat écorché ou bien pour produire quelques légères contractions chez une grenouille victime obscure et innocente de la Science"[ccxi]. Il faut réformer cette méthode au nom d'une éducation de l'esprit positive revendiquée par les promoteurs de la nouvelle réforme. Pour former le jugement critique de l'élève, il convient de mettre en œuvre une démarche qui assure la cohérence avec les visées éducatives définies par les instances supérieures du système éducatif. L'enseignement doit donc être à la fois très élevé, mais en même temps très simple et très pratique.
Aussi, la démarche inductive, fondée d'abord sur l'approche des faits — comme sous la Révolution où le sensualisme de Condillac était philosophie d'état en matière d'enseignement[ccxii] —constitue‑t‑elle le nouveau credo de l'enseignement  des sciences physiques : il faut procéder de l'observation des faits à l'élaboration des lois. L'expérimentation doit occuper une place centrale conformément au positivisme d'Auguste Comte qui considère la physique comme le modèle par excellence de la science expérimentale : "C'est réellement en physique que se trouve le triomphe de l'expérimentation, parce que notre faculté de modifier les corps afin de mieux observer les phénomènes, n'y est assujettie à presque aucune restriction, ou que, du moins, elle s'y développe beaucoup plus librement que dans toute autre partie de la philosophie naturelle"[ccxiii]. Car pour lui, deux modes fondamentaux d'étude caractérisent la physique. Le premier est l'observation proprement dite, qui à elle seule est insuffisante : "cette science, réduite à la seule ressource de l'observation pure, serait, sans aucun doute, extrêmement imparfaite […]". A laquelle s'ajoute "…l'emploi du second procédé général d'exploration, l'expérience, dont l'application convenablement dirigée constitue la principale force des physiciens pour toutes les questions un peu compliquées […] Ainsi, en résumé, non seulement la création de l'art général de l'expérimentation est due au développement de la physique, mais c'est surtout à cette science qu'un tel procédé est, en effet, destiné […]"[ccxiv]. La mise en œuvre de l'expérience est conforme à l'épistémologie positiviste de la science, et assure également une formation d'esprit.
Le problème central est ainsi de parvenir à ce que le cours ne commence plus par la loi mais par l'expérience. En pratiquant de la sorte, le professeur amène l'élève à agir pour découvrir les grandes lois de la nature plutôt qu'à les admettre a priori. Il procède pour cela à l'observation de faits quotidiens et actuels dûment constatés, lesquels, par raisonnement et vérification d'hypothèses, permettent d'induire la loi naturelle visée. Par exemple, à propos des règles de composition des forces ou la loi de chute des corps, il convient de les établir expérimentalement au lieu de procéder par déduction à partir des lois abstraites ; de la même façon, avant d'énoncer les lois de la réflexion ou de la réfraction, il faudrait étudier expérimentalement la propagation de la lumière dans différents milieux ; enfin — comme le conseille Lucien Poincaré[ccxv] — il conviendrait aussi d'étudier les courants électriques bien avant l'électrostatique devenue obsolète. Une adaptation de la physique scolaire à la vie concrète et de l'élève renverse la perspective du cours. L'information doit être vivante et immédiate, mais surtout construite et non plus apprise. De réceptacle de la vérité sous la bifurcation, l'élève devient acteur de son savoir : c'est là l'une des différences notables entre les visées du Second empire et celles de la République en 1902, positivisme du fait concret pour l'un, de l'éducation de l'esprit pour l'autre.
Corrélativement à ces nouvelles méthodes, la description systématique de l'instrument comme révérence ultime au savant illustre n'a plus sa place. L'allure du cours de physique reposait auparavant — comme en témoignent Poincaré et Berthelot — sur une longue description des expériences historiques, le phénomène étant finalement énoncé. En 1902, la renonciation aux appareils historiques figés dans une vitrine s'impose [tels l'appareil de Haldat en hydrostatique, l'appareil de Gay‑Lussac pour la dilatation de l'eau, etc.….][ccxvi]. Ainsi, "le professeur se contentera d'exposer les faits tels que nous les comprenons aujourd'hui, sans se préoccuper de l'ordre historique. On lui demande de débarrasser l'enseignement de beaucoup de vieilleries que la tradition y a conservées : appareils surannés, théorie sans intérêt, calculs sans réalité. Il n'entrera point dans la description minutieuse des appareils ni des modes opératoires."[ccxvii]
Pour cela, le professeur est invité à construire lui‑même des appareils plus élémentaires, directement appropriés à l'expérience "avec les moyens les plus simples et les plus à portée, s'attachant bien plus à l'esprit des méthodes qu'aux détails techniques d'exécution"[ccxviii]. Aussi, la simple salle de collection ou de préparation ne suffit plus. Le recours à l'outillage est nécessaire, et l'adjonction d'un atelier devient indispensable. Les professeurs sont invités à y songer : "là où l'on pourra utiliser un établi et quelques outils, [… ] il sera aisé de construire soi‑même des instruments avec des matériaux vulgaires et simples [… ] ; dans l'enseignement élémentaire le véritable cabinet de physique doit être un atelier"[ccxix]. Il est même question de proposer aux élèves de réaliser certains petits montages ou appareils très succints lors des exercices pratiques. La rusticité des dispositifs doit garantir la lisibilité du phénomène et sa compréhension par l'élève qui participe ainsi intellectuellement à son apprentissage. La physique nouvelle doit être simple, scientifique et moderne.
Toutefois, le risque serait de limiter le cours à un simple repérage des faits qualitatifs.  La commission tient alors à préciser que "ce sont les nombreuses mesures de la fin du XIXe siècle qui ont amené à la découverte et l'extension du principe de conservation de l'énergie […] ; [et que] d'ailleurs, (selon Lord Kelvin) on ne connaît bien un phénomène que lorsqu'il est possible de l'exprimer en nombre".[ccxx] La notion de mesure vient donc au premier plan de l'expérience : la physique doit devenir quantitative, au service des lois. En enseignant les mesures, le professeur doit porter l'accent sur la précision, particulièrement dans l'écriture des résultats. L'inspecteur général Lucien Poincaré tient à le rappeler dans ses conférences :  "la véritable expérience est quantitative, [parce qu'elle] permet l'évaluation d'une grandeur en nombre, au moyen d'une unité définie [… aussi…] il faut que l'élève acquière nettement l'idée de ce qu'est une mesure"[ccxxi]. La prise en compte du réel se concrétise ainsi avec le sens de l'ordre de grandeur. On se souvient que les professeurs déploraient le maniement de formules sans lien avec la réalité. Avec cette nouvelle exigence, la physique est ramenée dans le champ expérimental et éloignée d'un formalisme souvent vide. Ainsi est prise en compte le pilotage des calculs, comme critère de qualité scientifique. Là encore, la prise en compte du calcul comme outil scientifique va dans le sens d'une spécialisation de la formation.
Force est de pourtant de constater que, même si la démarche du professeur constitue un progrès dans l'apprentissage, tant du point de vue méthodologique et formation d'esprit de l'élève que du point de vue de la modernisation des moyens à employer, il n'en reste pas moins que c'est toujours le professeur, et lui seul, qui met en œuvre les protocoles expérimentaux pour les élèves. Cette disposition qui va perdurer, constituera plus tard un objet de critique du déroulement d'un cours de physique. Pour contourner cet obstacle, les réformateurs de 1902 prévoient l'introduction d'exercices pratiques, sorte de complément utile au cours, permettant à l'élève de se familiariser directement et activement à la méthode inductive de la production des connaissances en physique. Ces nouvelles dispositions devraient offrir à l'élève "le sens de la réalité, la notion de loi, et [lui permettre] d'entrevoir, entre les phénomènes en apparence les plus dissemblables, les rapports qui les unissent […] Ce sera en lui, avec des acquisitions durables, une philosophie immanente de la nature […], l'éveil de sa curiosité […], la mise en mouvement de ses énergies."[ccxxii] On trouve bien, dans cette innovation, le souci d'une participation effective de l'élève à son apprentissage, préoccupation toujours actuelle tant les obstacles à sa réalisation sont nombreux.
Il faut souligner aussi une autre conséquence du changement de perspective dans l'enseignement de la physique. Il s'agit du rôle de la physique expérimentale au service de l'éducation morale de l'élève. Non seulement celui-ci devient actif, mais il doit s'exercer au raisonnement et former ainsi son esprit critique : "[l']une des fins, la fin principale de toute éducation, qui vise à autre chose qu'à former des esprits réceptifs et passifs ?"[ccxxiii] La notion de loi naturelle qui dépasse la multitude des faits concrets est concrètement et matériellement perçue ; aux yeux des réformateurs, ce dépassement ne peut que lui conférer une supériorité au regard d'autres lois plus humaines[ccxxiv].

2. Importance de l'expression mathématique de la loi


Pour compléter la méthode d'enseignement des sciences physiques par l'observation et l'expérience, il convient, selon Auguste Comte, d'avoir recours aux mathématiques : "Après l'usage rationnel des méthodes expérimentales, la principale base du perfectionnement de la physique résulte de l'application plus ou moins complète de l'analyse mathématique […] la fixité et la simplicité relative des phénomènes physiques doivent comporter naturellement un emploi de l'instrument mathématique […]"[ccxxv]. Ainsi, l'aspect expérimental et le traitement mathématique sont-ils constitutifs de la nouvelle physique.
La mise en application de ce principe intervient dans les instructions officielles par le recours au graphique et à la notion de fonction (mathématique). Comment faire apparaître la loi mieux qu'avec un tracé graphique ? Aussi le professeur est-il invité à "[utiliser] fréquemment les représentations graphiques, non seulement pour montrer l'allure des phénomènes, mais pour faire pénétrer dans leur esprit les idées si importantes de fonction et de continuité[ccxxvi]". Le graphique devient à la fois le représentant privilégié de la loi naturelle, et sert en même temps une préoccupation mathématique. Son avantage pour l'enseignement de la physique est qu'il supplante la formule mathématique souvent plus hermétique. La description du phénomène physique s'organise ainsi en une mise en relation des faits par une traduction graphique. Ce qui risque de devenir, finalement, l'objectif principal du cours. On voit poindre, dans cette disposition, les déviations futures du cours de physique.
Cette nouvelle pratique de la représentation graphique valorise la notion de fonction mathématique, laquelle devient ainsi indispensable comme lien des enseignements de physique et de mathématiques. Le caractère algébrique des formules s'efface devant l'opérativité de la représentation graphique. L'aspect purement descriptif de la physique s'efface devant sa mise en fonction mathématique, outil fondamental en physique. L'aspect causal des phénomènes est directement relié à la réalisation du graphique. Cette conception de l'enseignement de la physique, reposant sur la maîtrise des outils spécifiques aux scientifiques, laisse suggérer qu'elle s'adresse principalement à la formation des spécialistes de niveau supérieur. La modernisation de l'enseignement va de pair avec le renforcement de la liaison physique ‑ mathématiques.

 

Alors que la réforme de 1902 semble donner l'avantage aux modernes[ccxxvii], l'enseignement secondaire demeure un enseignement d'élite caractérisé par la résistance vigoureuse des humanités classiques et la persistance de tensions entre classiques et modernes. La rivalité classique - moderne va ainsi jalonner le demi‑siècle, au nom d'un malthusianisme d'autant plus récurrent que masqué. Les premières années du XXe siècle voient se maintenir la stratification sociale et l'inégalité des filières scolaires. Le statut des sections modernes reste précaire et considéré comme inférieur, comme en témoigne les commentaires sur la réforme parus dans la Revue politique et parlementaire (1901) et repris la même année dans le n° 5 de la revue L'Enseignement secondaire, organe de la Société pour l'étude des questions d'Enseignement secondaire. Ainsi, considère‑t‑on que "l'éducation secondaire doit former l'homme, d'abord pour lui-même, puis en vue du milieu social"[ccxxviii]. Les attaques portées contre les modernes reviennent régulièrement, selon un mode récurrent qui prétend dénoncer leur infériorité : "[…] on propose d'ouvrir aux modernes l'accès des classes de mathématiques élémentaires classiques et de philosophie classique ; on veut ainsi leur permettre, sans qu'ils aient passé par les mêmes études littéraires, latines et françaises (ou grecques), d'aspirer aux mêmes diplômes que les autres. Ces diplômes, soyez certains qu'ils ouvriront tôt ou tard toutes les carrières, y compris la médecine et le droit. Donc, en définitive, on veut faire admettre dans les écoles de médecine et de droit des élèves dont la culture sera nécessairement inférieure en son ensemble, puisqu'elle aura été dirigée sans un sens utilitaire, moins général, moins littéraire, plus étroitement scientifique et, en un seul mot, plus réaliste [.…] En outre, il est bien évident que les études modernes, devenues plus utilitaires et moins hautes, se trouveront plus à la portée des esprits médiocres ; elles seront plus faciles en leur ensemble, moins favorable à l'élévation ou même à la simple distinction des esprits […] En un mot, le milieu où on aura fait la culture "moderne" sera moins voisin des hauteurs et plus terre à terre. Pourquoi donc accorder à la fin les mêmes titres et sanctions pour les études plus faciles et moins élevées que pour les études plus difficiles et plus élevées ? C'est toujours non pas l'égalité, mais l'inégalité, puisque l'égalité vraie consiste à ne pas traiter également les inégaux"[ccxxix].
La bourgeoisie continue de mettre ses enfants au lycée  — toujours signe de distinction — donc à l'écart des enfants du peuple. L'apparente égalité des sections offertes n'est cependant qu'une illusion : le statut des sections modernes demeure précaire, au bénéfice des sections classiques dont la supériorité est toujours reconnue. La période de l'entre-deux guerres voit les avancées et reculs des deux positions à la faveur de mesures successives : les instances supérieures de l'éducation se succèdent, chacune revenant sur la décision précédente tandis que les sections classiques assurent toujours la distinction recherchée. Ainsi, les professeurs de lettres, acquis au grec et latin de par leur formation, attirent les bons élèves dans les sections classiques. D'où l'allure de soupape que prend la section moderne toujours vue comme de valeur inférieure. Seulement tolérée, il n'est pas étonnant de la voir disparaître des premiers cycles secondaires en 1923, même si elle réapparait en 1925. Dans le second cycle, la section latin-langues qui avait attiré de nombreux élèves souvent médiocres est supprimée, aboutissant aux seuls deux baccalauréats : philosophie et mathématiques. La conception de "l'égalité scientifique" domine alors :  les trois sections restantes dans le second cycle du secondaire ont en commun des enseignements français, d'histoire-géographie et de sciences. Le risque d'une surcharge des programmes se renforce. Il est masqué jusqu'en 1930 par la stabilité des effectifs, le recrutement sélectif et la richesse de l'encadrement[ccxxx].
Pourtant, divers facteurs vont, dès 1930, mettre à mal cet équilibre relatif. D'une part, on assiste à la régulière montée des effectifs modernes, d'autre part, l'afflux d'élèves venus de l'enseignement primaire supérieur ou de l'enseignement primaire, va compromettre "l'égalité scientifique" difficilement mise au point. Or, la croissance des enseignements primaires supérieurs est une donnée nouvelle, qui frappe par son ampleur et sa régularité : dès la veille de la 1ère guerre mondiale, les effectifs réunis des E.P.S et des cours complémentaires dépassent ceux de l'enseignement secondaire[ccxxxi], alors que les diplômes d'enseignement primaire supérieur — par exemple, le brevet supérieur  — ne permettent pas de s'inscrire dans une faculté pour y préparer une licence. Toute une série de mesures assurent ainsi l'étanchéité des systèmes secondaire et primaire[ccxxxii] dont l'effet résultant est le gonflement des classes primaires supérieures, devenues en quelque sorte "le secondaire du primaire".
On peut dire avec Antoine Prost que le malthusianisme du secondaire renforce ainsi le primaire supérieur, d'autant plus que les mœurs favorisent la scolarisation et plaident pour un allongement de la fréquentation scolaire. La prolongation d'étude pour les masses populaires est limitée à trois ans [durée de l'enseignement primaire supérieur] par la classe dirigeante,  dont les enfants ont un cursus secondaire de sept ans. C'est avec la question du latin que se joue l'hégémonie de la bourgeoisie sur le secondaire, cachant ainsi le débat social derrière le débat idéologique : le latin — jugé toujours indispensable à la formation des élites — passe pour le fleuron de la formation d'esprit absolument nécessaire dans l'enseignement secondaire. Et pourtant, "…pour la grande majorité des élèves les études latines n'ont d'autre but que de faire une version de baccalauréat"[ccxxxiii] Ce baccalauréat qu'il faut posséder, constitue ainsi "la barrière sérieuse, la barrière officielle et garantie par l'Etat, qui défend contre l'invasion [de la classe populaire]"[ccxxxiv]. Renforcée par la culture familiale, la culture secondaire s'arcboute au latin, avec la volonté de se distinguer. Les élèves qui en profiteront le mieux sont, comme le montre l'analyse de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, les "héritiers"[ccxxxv].

Dès lors que l'enseignement secondaire continue d'être au service d'un petit nombre, le cours magistral prend toute son importance. En sciences, le bon professeur se définit plutôt par ses qualités que par une méthode. Le talent du maître garantit celui de l'élève "bien né" qui s'imprègne de "la façon de dire" du maître. Pour la physique, l'énoncé des lois et des principes précède toujours les expériences, celles-ci servant d'illustration à la théorie. De fortes personnalités défendent une approche dogmatique du cours : "Un enseignement élémentaire de la physique et de la chimie […] ne saurait être que dogmatique. Personne ne le conteste plus aujourd'hui, il est inutile de le démontrer longuement. Un enseignement historique des sciences n'est profitable et même possible que pour ceux qui les possèdent déjà."[ccxxxvi]. La spécialisation n'a pas sa place. Les contingences matérielles sont toujours repoussées, et avec elles, les expériences vraies en tant que découvertes. Le système veut former des intelligences, celle de l'homme et du citoyen. Mais seul, l'enfant du notable est censé être capable de profiter d'un enseignement général et de niveau secondaire. Car, "former le producteur, l'enseignement français y répugne"[ccxxxvii]. L'inadaptation du système éducatif aux fins économiques s'accentue avec l'individualisme qu'il entretient.

Finalement, l'élève suit son cours passivement, dans une subordination pédagogique où il n'a guère d'initiative : le professeur est le seul acteur de l'avancement de la pensée. Même au service de l'élève, la seule confiscation de la pensée par le professeur en rend le bénéfice douteux pour la formation d'esprit promise à l'élève. La magistralité du cours passe par une succession d'étapes aux yeux de l'élève. Cette conduite paraît tout‑à‑fait normale pour l'époque, l'élève dans sa position subalterne n'ayant aucune revendication à émettre.
Pourtant, des professeurs s'interrogent sur la faisabilité de la mise en œuvre des programmes. Très vite, l'écart entre les visées des réformateurs de 1902 et la réalité de la classe est posé. Des professeurs font connaître leur protestations dans le nouveau Bulletin de l'Union des physiciens[ccxxxviii]. Les donnent, par exemple, lieu à de vives critiques : "comment peut‑on concilier la méthode inductive avec les instructions et les programmes de 1902 ?"[ccxxxix]. La lecture des instructions incite le professeur à exposer les faits tels qu'ils sont compris à l'époque, ce qui suppose l'adoption de la démarche défendue par Bouasse[ccxl] — c'est‑à‑dire une démarche déductive à partir d'un principe général admis. Force est de reconnaître que l'exposé des programmes est en contradiction avec l'exigence de démarche inductive : on assiste majoritairement à une présentation déductive des cours par des professeurs installés dans leur pratique d'enseignement magistral devant un public privilégié et passif. Transmettre le savoir en discourant met le professeur en valeur ; cela est d'autant plus facile pour lui que l'élève offre une écoute attentive et maîtrise le discours qui lui est adressé. Le public lycéen n'appelle pas une révision de la méthode d'enseignement.
On comprend pourquoi l'enseignement de la physique va se maintenir ainsi, pendant la première moitié du XXe siècle, sans véritablement montrer une évolution nette entre un cours réellement fondé sur une démarche inductive et le cours habituel. Sur fond de stabilité des effectifs de l'enseignement secondaire de 1880 à 1930, la pédagogie stagne, adaptée à l'élitisme de son public.[ccxli] La démarche inductive n'adhère par à la pratique professorale.

II. Une méthode nouvelle : la redécouverte en physique 


Les changements qui surgissent après la seconde guerre mondiale vont changer la donne. On enregistre, à tous les niveaux de l'enseignement une augmentation rapide des effectifs. Pour le second degré, la croissance est spectaculaire[ccxlii] : le nombre des élèves triple. Le mouvement est si général et d'une telle ampleur que le sociologue Louis Cros en fait le titre d'un ouvrage : "L'explosion scolaire"[ccxliii] (1961). A cette croissance démographique d'aussi grande ampleur, se superposent les exigences démocratiques d'une société en mutation : l'accession au plus grand nombre à l'instuction (primaire), et corrélativement, la poursuite de la scolarité. Car l'économie demandant une main d'œuvre plus instruite — le secteur primaire régresse, le secondaire se maintient tandis que le secteur tertiaire prend la première place — la population perçoit l'intérêt pour l'enfant de faire des études afin d'assurer son avenir : les emplois de cadres, techniciens et employés de bureaux d'études se développent au détriment des emplois proprement ouvriers. Avec l'accroissement du niveau de vie, le rapport à l'éducation change. Les effectifs de l'enseignement secondaire reprennent leur croissance dès 1951 - 1952. Sur fond de luttes pour la démocratisation de l'enseignement secondaire, ce sont les structures même du système éducatif qui sont appelées à changer.
Devant l'explosion scolaire, les méthodes obsolètes d'enseignement vont être critiquées. Pour les sciences, la remise en cause de la position magistrale du professeur ira de pair avec la promotion d'une pratique de la redécouverte. Car, parallèlement à cette évolution, se font sentir les contrecoups des idées nouvelles en matière d'éducation.

1. Charles Brunold et la remise en cause de la position magistrale du professeur - Pratique de la redécouverte  - 

 Tout d'abord, conséquence du baby-boom, l'après-guerre voit progresser l'enseignement préscolaire. Le développement de l'éducation enfantine va de pair avec le travail féminin et l'urbanisation. Or, l'école maternelle a toujours été un lieu de réflexion sur une éducation anti-autoritaire et ludique. Le jeu éducatif, l'intérêt spontané de l'enfant sont les moyens de développer une pédagogie qui fait toute sa place au développement de l'enfant. L'esprit d'innovation va s'étendre au delà de la maternelle.
Le grand mouvement de la Libération marque ainsi une remise en question globale de l'enseignement. En particulier, Langevin‑Wallon (1944 - 1947)[ccxliv] élabore le plan du même nom qui propose l'école unique pour les structures, l'école nouvelle pour la pédagogie. L'école est conçue en fonction des enfants, de leur âge et de leur psychologie. Même si le plan Langevin-Wallon ne reçut pas même un début d'exécution, une sorte de consensus semble alors s’établir autour des valeurs de cette éducation nouvelle, valeurs qui passent à l’état de lieux communs pédagogiques et sont même consacrées par le discours des instructions officielles : tenir compte des rythmes et des stades du développement de l’enfant, lutter contre l’encyclopédisme et le psittacisme, rendre l’enfant actif, partir de ses centres d’intérêt, susciter la coopération au lieu de la compétition, donner le pas à la découverte sur l’exposé, à la démarche inductive sur la démarche déductive. Toutes ces propositions constituent désormais une espèce de doctrine commune de la novation, difficile à contester pour qui ne veut pas passer pour réactionnaire. Elles ont pour elles de refléter la valeur dominante de modernité.
C’est précisément cette valeur qui préside à la politique de l’éducation dans les années où les sociétés développées, comme les pays en développement, ont à construire, parfois de toutes pièces, un système d’enseignement à la mesure du décollage de l’économie d’après-guerre. La croissance démographique impose l’urgence des réalisations et leur planification. Mais les besoins de l’industrie, dans le bond en avant que la guerre elle-même a inauguré, semblent capables d’occuper pour longtemps une main-d’œuvre nombreuse et de haute qualification. Se renforce alors le profil idéologique du travailleur moderne, capable d’initiative, de décision, de participation et de mobilité dans un monde en mutation, où le pouvoir et le savoir ont opéré leur alliance définitive grâce à l’emprise technologique sur la matière et le destin des sociétés. Mais ce profil est aussi bien celui de l’élève  que conçoit l’éducation moderne.
Des écoles nouvelles où l'apprentissage est repensé, connaissent une vogue toujours grandissante : initiative, spontanéité et autonomie de l'enfant sont mises en pratique. La psychologie de l'éducation aide à prendre conscience de la nécessité de repenser l'acte d'enseignement. Des penseurs comme Wallon, Piaget réfléchissent à la formation de l'intelligence chez l'enfant. Devant l'afflux d'élèves venus de toutes les couches de la population, l'élitisme des méthodes anciennes est en échec : dans les classes du second degré de l'enseignement secondaire, l'obsolescence des pratiques commence à se faire sentir. L'idée de prendre en compte l'enfant à travers les pratiques enseignantes s'inscrit dans la renaissance intellectuelle de l'après-guerre ; elle affleure peu à peu à la conscience de certaines personnalités du monde de l'enseignement secondaire.
C'est sous l'impulsion d'un inspecteur général de l'instruction publique, Charles Brunold, futur directeur de l'enseignement secondaire, que la nécessité de faire redécouvrir les lois de la physique par l'enfant lui‑même, est lancée officiellement[ccxlv]. En 1948, son texte fondateur rappelle en exergue, l'insuffisance des méthodes antérieures  qui, en ne privilégiant que l'expérimentation, faisaient fi de la pensée organisatrice qui structure le savoir : "[…] il faut réagir contre cette idée trop aisément admise que l'expérimentation est la reine des méthodes. Il faut seulement faire la part des œuvres et des outils dans la recherche expérimentale. Mais il faut aussi que l'outil et la main s'arrêtent et que l'esprit interroge la nature déliée"[ccxlvi]
Jusqu'alors, seul le professeur organisait le savoir, l'élève demeurant passif de ce point de vue et son action se limitant à suivre des yeux une manipulation faite devant lui. Sous forme d'Esquisse d'une pédagogie de la redécouverte dans l'enseignement scientifique, Brunold donne la direction dans laquelle les professeurs doivent désormais faire travailler les élèves : "Dans l'enseignement des sciences physiques où règne sans conteste l'expérience, nous voudrions indiquer comment peut être révélé le rôle éminent de l'esprit, qui demeure le premier et le plus bel instrument de toute recherche [.…]
[… ] Prenons l'exemple d'une leçon élémentaire de physique, le principe d'Archimède, et reportons-nous à sa forme classique. Cette proposition est présentée dans la plupart des cas comme une loi expérimentale nouvelle. Dans une première partie de la leçon, le professeur montre, par une expérience simple et qualitative, l'existence d'une poussée verticale : un corps suspendu à un ressort, par exemple, est plongé dans l'eau ; le ressort se raccourcit. Le dispositif a l'avantage de permettre une mesure grossière de la poussée, si le ressort a été étalonné. La cause de ce phénomène est identifié à une force. L'étude de la poussée se ramène donc à définir les éléments de cette force. Le cadre de la leçon, c'est-à‑dire de la redécouverte à entreprendre, est ainsi tracé : direction et sens vont de soi ; le point d'application fera l'objet d'un développement particulier ; reste l'intensité de la force. Ici, le professeur, après le manuel, affirme que la force est égale au poids du liquide déplacé et présente la dispositif classique, ingénieux de deux cylindres s'emboîtant l'un dans l'autre, dispositif construit pour vérifier la loi expérimentale, non pour la découvrir. De même, l'expérience du vase [à trop plein] est une expérience de vérification, car l'eau recueillie, dans on plonge le corps dans le vase, est précisément celle dont le poids rétablit l'équilibre de la balance. Ici encore notre enseignement, fidèle à lui-même, fidèle aux méthodes que lui propose l'enseignement des  mathématiques, emploie une méthode d'autorité.… le professeur de physique affirme la loi et impose à son tour la méthode de vérification. Chaque foi l'élève trouve le double fait accompli, il lui est demandé un constant acte de foi. Cette méthode autoritaire, disons-le sans détours, est choquante. Dans un pays qui se réclame, en toutes choses, de la liberté, du respect de la personne humaine et des droits de l'esprit, on ne saurait procéder ainsi. Le plus grave, c'est que tout notre enseignement littéraire et scientifique procède de même."[ccxlvii].
Brunold montre en quoi la démarche fondée sur la seule présentation d'une expérience de démonstration est inefficace. Il tente de fournir une nouvelle façon de concevoir le rôle et la place de l'expérience dans un cours de physique. Il va reprendre le sujet évoqué — l'étude de la poussée d'Archimède — pour montrer les paradoxes de la méthode déductive et l'aborder selon un questionnement posé par l'élève lui‑même :
"[…] Revenons au principe d'Archimède. Comment pratiquer ici la redécouverte ? Et d'abord, de quoi peut dépendre la grandeur de la poussée ? Voilà l'analyse essentielle qu'il convient de faire, avant l'étude du phénomène, pour trouver les facteurs et dénouer avec patience, le complexe écheveau de la causalité. Deux corps en présence : le corps plongé et le liquide dans lequel on le plonge. La poussée peut donc dépendre du liquide ; elle peut dépendre aussi du corps solide, c'est-à-dire de sa nature, de son volume, de sa forme ; elle peut dépendre enfin de la position du corps dans le liquide, en particulier de sa profondeur. Or que fait notre enseignement ? Il affirme que la poussée est égale au poids du liquide déplacé, excluant ainsi arbitrairement et en laissant même ignorer cette exclusion, tous les facteurs autres que le poids spécifique et le volume du corps. Ici, l'autorité se double de ce qui pourrait ressembler à de la mauvaise foi ; nous savons bien qu'elle est inconsciente. Elle l'est tellement que les mêmes auteurs, qui nient ou veulent ignorer l'influence de la forme du corps immergé et de sa position dans le liquide, achèvent leur leçon en démontrant le principe d'Archimède (passons sur ces injures faites au sens des mots) [sic] et emploient dans leur démonstration un cylindre droit immergé verticalement dans le liquide. L'analyse du phénomène de poussée permet alors, à cause de la symétrie ainsi introduite dans le phénomène, d'éliminer les pressions latérales et de montrer que la poussée est la résultante des forces de pression qui s'exercent sur les deux bases. Il nous paraît inutile d'insister sur ces contradictions.
C'est ici le moment de réhabiliter l'expérience négative que notre enseignement rejette, parce qu'elle a sa place naturelle dans une enquête[ccxlviii], qu'elle ne l'a plus dans une démonstration. […) C'est bien le moment de rappeler le mot d'Anaxagore : "Tout était confusion, mais vint l'esprit qui mit tout en ordre". C'est ce travail organisateur de l'esprit que notre pédagogie doit révéler, de l'esprit aux prises avec le réel complexe et désordonné qui s'offre naturellement à lui. Il faut donc étudier un à un tous les facteurs possibles[ccxlix] du phénomène […) [En variant les corps et les liquides, on parviendra au constat de l'égalité des volumes du corps et de celui du liquide déplacé.).[…) Ce sera la moment de révéler les sens du symbolisme mathématique, qu'on aborde ici, par la plus simple des relations algébriques, sa simplicité, son élégance, sa valeur de synthèse. Le principe d'Archimède sera ainsi redécouvert. […) Ce qu'on a découvert ici, c'est une loi physique […)"[ccl].
Brunold parvient, comme ses prédécesseurs, à la notion de loi physique qui constitue toujours l'aboutissement de la leçon. Il insiste sur la part de l'élève dans cette démarche : "[…) Il va sans dire que les élèves feront eux-mêmes les mesures, qu'il les rassembleront sur un tableau ; ils les représenteront sur un graphique en portant sur les axes de coordonnées les valeurs trouvées pour la pression et le volume [dans l'étude de la loi de Mariotte). Ce graphique ne servira pas à interpréter la loi, comme on le fait souvent, mais à la découvrir. Le fait même que les points s'alignent sur une courbe sera la révélation la plus claire de l'existence d'une loi. Les mathématiques interviendront alors par l'apport de la fonction [hyperbolique) y = a / x que les élèves connaissent et qui fournira tout de suite l'expression achevée de la loi découverte […) : l'esprit contemplera une fois de plus, dans ce domaine, son œuvre d'analyse et d'organisation rationnelle.[…)
 […) Ce qui nous importe autant que le résultat de chaque étude, c'est la méthode avec laquelle elle a été conduite. Replacer l'esprit devant le Réel, révéler à chaque instant que la science est l'œuvre de l'homme, soit qu'il cherche à comprendre, soit qu'il veuille l'utiliser à des fins techniques, voilà l'essence même d'un humanisme scientifique.[…) Tout le travail théorique s'insère dans l'expérience sensible qui intervient au départ et à l'arrivée […) Cet unité que l'enseignement doit révéler à chaque instant […) implique une collaboration permanente entre la pensée abstraite et la pensée théorique […) qu'il s'agisse de réhabiliter le réel dans le travail mathématique ou de replacer l'idée et l'esprit dans l'étude expérimentale"[ccli].
Dans cette conception du travail de l'élève, ce dernier prend en charge non seulement les résultats de l'expérience, mais la démarche elle‑même, démarche expérimentale qui lui fait prendre le temps de mener des enquêtes authentiques, quitte à se fourvoyer dans de fausses pistes. L'importance du questionnement de l'élève est nouveau. Ce faisant, son autonomie et sa responsabilité se développent : la pensée accompagne le geste opératoire. Elle entre en interaction avec la conduite pratique, l'une rejaillissant sur l'autre. Finalement, c'est un renversement total des rôles que Brunold prône, l'élève devenant acteur et concepteur de la recherche dans un cadre scolaire assuré de la présence d'un professeur pour parvenir au but. Notons cependant que l'appellation de "découverte" s'inscrit dans une visée positive de la science, l'idée de découverte étant implicite de celle de l'existence a priori de lois naturelles[cclii].
En éclairant ainsi cette nouvelle façon de penser l'apprentissage de la physique, Brunold s'inscrit contre l'inefficacité de la pratique antérieure des professeurs en dépit des mesures réformatrices prises. Car jusque là, et malgré les vœux des réformateurs de 1902, les professeurs ont toujours utilisé l'expérience comme outil d'une pratique de démonstration, celle‑ci relevant de la même logique que la démarche mathématique jusqu'alors toujours dominante, au lieu d'une induction expérimentale souhaitée. Ce que reproche Brunold, à travers ses récriminations.
Le retard des conceptions est ici perceptible, les professeurs n'ayant, durant les cinquante ans postérieurs à la réforme de 1902, jamais mis réellement en œuvre une démarche inductive telle que prônée par les textes officiels. L'espoir de changer les méthodes s'est heurté d'une part à l'inertie des mentalités, d'autre part — et c'est le cas défendu par Bouasse — à la conception de la physique mise en œuvre selon laquelle l'affirmation de la loi mathématique doit être première. Mais, davantage encore, la question de l'évaluation — si importante au lycée — est à prendre en compte : en physique, contenus scientifiques et formules sont sans doute plus économiques à évaluer que savoirs-faire et méthode. 
Aussi, les propositions de Brunold reprennent la question de la démarche inductive que doit incarner une pratique de la redécouverte. Cette transition notable qui tente d'influer de façon sensible sur la pratique enseignante en sciences, marque un tournant dans les conceptions épistémologiques du rôle et de la place de l'expérience dans l'enseignement des sciences physiques.

2. Voie expérimentale et méthode naturelle dans l'enseignement de la physique - Les conférences de l'inspecteur général Guy Lazerges.


La réticence des professeurs à mettre en œuvre une nouvelle façon d'enseigner amène l'institution à renforcer sa pression. Les textes administratifs pris par Charles Brunold, vont être appuyés et renforcés à l'occasion de la création en 1945 de classes pilotes du premier cycle de l'enseignement secondaire[ccliii].  Peu de temps après, dans les années 1950, l'inspecteur général de sciences physiques, Guy Lazerges, mène un cycle de conférences qui vont faire date en pédagogie des sciences physiques. Son propos est régulièrement repriss : que ce soit dans la conférence faite à Sèvres[ccliv] aux professeurs de sciences physiques des classes pilotes, ou dans celle de Rabat, Lazerges veut faire évoluer la pédagogie des professeurs de sciences physiques vers davantage de souplesse et de prise en compte de l'enfant. Il pose pour cela la question de l'organisation du travail et met l'accent sur les objectifs de cet enseignement ainsi que sur la méthode dite naturelle — reprise d'un lieu commun rousseauiste — qu'il convient d'adopter.
On voit poindre dans ses propos, à la fois une préoccupation  de méthode quant à la manière d'enseigner mais aussi — et nous y voyons un signe de prise en compte des idées de la psychologie de l'apprentissage dans les valeurs pédagogiques — la spécificité de l'apprentissage de l'enfant : "il s'agit, non pas de communiquer à un enfant les connaissances d'un adulte, mais de rendre l'enfant capable d'acquérir par lui-même les connaissances d'un adulte"[cclv]. Il a l'intention de lancer des pistes de travail dans les classes pilotes, avec l'hypothèse que "les classes pilotes sont des laboratoires qui rendent compte publiquement de leurs travaux dans des rencontres périodiques et qu'on peut espérer les voir confirmer, de façon incontestable par quiconque, que telle chose est possible ou telle autre impossible […]". C'est la première fois que la notion d'expérience pédagogique est lancée en sciences physiques dans l'enseignement secondaire. La question posée est la suivante : "[…] avant de rechercher comment le travail des élèves doit être organisé en sciences physiques, il faut se demander pourquoi l'on enseigne les dites sciences, puis, quelles sont les méthodes générales compatibles avec ces intentions."
En examinant les objectifs de l'enseignement des sciences physiques, il rappelle les deux conceptions existantes : " Certains voient dans notre discipline […] un enseignement de connaissances, ou même utilitaire sous prétexte […] qu'un homme cultivé ne peut pas ignorer ceci ou cela […] S'il fallait définir l'homme cultivé […] c'est celui qui est capable de tout apprendre et de tout comprendre, même quand il ne sait rien […] qui a le droit de ne rien savoir ou d'avoir tout oublié […] Cette idée que l'homme cultivé doit avoir certaines connaissances est une vue de spécialistes […] Poursuivre un tel enseignement de connaissances serait une aventure, où nous serions toujours en retard d'une génération. Je vois parfois des professeurs dessiner de façon détaillée des appareils industriels, contrairement aux programmes et aux instructions, sous prétexte qu'il s'agit d'un tout dernier modèle de l'industrie chimique alors que ce dernier modèle n'est plus construit ou employé depuis un demi-siècle et que seul un cliché d'éditeur entretient pieusement son souvenir. J'ajoute qu'une semblable conception conduit fatalement à une inflation démesurée des programmes et […] ce qui est pire, à une inflation sur le savoir aux dépens de l'intelligence. Considérer les sciences physiques comme un enseignement de connaissances est donc une idée fausse, voire dangereuse, ou, si vous préférez, un sophisme, une chimère et un péril"[cclvi]. Ici, Lazerges rompt catégoriquement avec les conceptions dominates du siècle précédent où la formation des notables exigeait un panorama des connaissances scientifiques, et où après la bifurcation, il convenait d'insister sur les appareils historiques, voire les nouvelles applications de la science et leur débordement de descriptions. Cependant, il prend soin de ne pas exclure totalement l'apport de connaissances en les relativisant : "On peut souhaiter en même temps, il est vrai, que les élèves conservent de leurs études certaines connaissances ; mais ces connaissances nous serons données par-dessus et par la force des choses sans que nous ayons à les rechercher. C'est dire qu'elles ne sont pas tenues pour négligeables…mais elles sont une fin secondaire, en ce sens qu'elles sont acquises spontanément, silencieusement pour ainsi dire, et très largement"[cclvii].

La deuxième conception que Lazerges avance en matière d'enseignement des sciences physiques est le refus de l'option utilitaire : "D'autres croient qu'on enseigne les sciences physiques en vue de la préparation des Grandes Écoles scientifiques ou tout au moins en vue des carrières qui s'y rattachent"[cclviii]. Lazerges qualifie ces conceptions de malfaisantes et vaines. L'utilitarisme de l'étude est rejeté : on vise la formation d'esprit de l'élève en refusant de réduire l'objet de l'étude scientifique à un utilitaire pour concours.
Après avoir réglé leur sort à ces deux conceptions qu'il qualifie d'anciennes, Lazerges se préoccupe officiellement — fait nouveau pour l'inspection générale — de l'objectif éducatif du point de vue de l'enfant : "Il s'agit, non pas de communiquer à un enfant les connaissances d'un adulte, mais de rendre l'enfant capable d'acquérir par lui-même les connaissances d'un adulte… [C'est] un mouvement de haut en bas, de l'adulte vers l'enfant, qui peut avoir lieu de façon irréversible"[cclix]. L'influence des conceptions de "l'éducation nouvelle" apparaît : l'enfant est pris en considération comme sujet apprenant. Même si certains penseurs ont, dans l'histoire, évoqué cette participation de l'enfant à son apprentissage — contrairement à l'enfant, tête vide, qu'il faut remplir — cette approche est, du point de vue institutionnel, nouvelle. L'expression "enseignement de connaissances" dénoncée par Lazerges, annonce une remise en cause au profit de la méthode, laquelle focalise l'objectif principal de l'enseignement. Une telle opposition déjà évoquée comme doctrine officielle à plusieurs reprises depuis le XVIIIe siècle est ici affirmée fortement. Le professeur est invité à quitter la seule vision de transmetteur de savoir à laquelle tant de mauvais souvenirs sont attachés : "Pendant assez longtempsjusqu'à l'époque où j'étais écolier en tout cas — on a utilisé dans l'enseignement des sciences physiques, de façon presque exclusive, des méthodes dogmatiques. Elle sont aujourd'hui pratiquement périmées, en tant que méthodes fondamentales ; […Les méthodes dogmatiques] ont créé dans nos classes la torpeur et l'indifférence intellectuelle, puis, dans le souvenir des bacheliers une bien mauvaise opinion de la physique et de la chimie. Je les accuse en outre, de rendre les gens incapables pour toujours d'attention et de mémoire[…]Celui qui dicte un cours est quelqu'un qui ronronne alors qu'un professeur doit être quelqu'un qui rayonne[…]Fort heureusement[…] ces mauvais procédés ne sont plus pratiqués à l'état pur ou disparaissent par extinction. Le cours dicté[…] est interdit par toutes les instructions officielles. L'erreur des méthodes dogmatiques[…] était de considérer l'enfant comme un adulte en miniature ou comme un adulte inachevé"[cclx].  Cette insistance va de pair avec l'évolution du système éducatif soumis aux exigences socioéconomiques : l'accroissement de la fréquentation scolaire et son allongement, s'inscrivent dans la nouvelle situation de l'après-guerre (reconstruction, demande de main d'œuvre plus qualifiée pour un tertiaire en progression, abandon d'une physique pour notable, physique de culture parce que de connaissances). L'enseignement doit gagner en opérativité.
  Aussi, pour convaincre de la nouvelle démarche, Lazerges fait appel aux conceptions en vogue sur l'enfance : "L'enfance a des manières de voir ; de penser et de sentir qui lui sont propres ; rien n'est moins sensé que de vouloir y substituer les nôtres. Cette découverte, qui aura bientôt deux cents ans, a été en pédagogie une véritable révolution. Je crois qu'elle contient toutes les règles de l'enseignement naturel que nous recherchons pour les sciences physiques." L'enseignement doit transformer la vision de l'enfant en transformant l'enfant lui-même : "L'enfant diffère essentiellement de l'adulte par l'égocentrisme qu'il manifeste devant le réel, il faut refouler cet égocentrisme de manière à créer finalement une attitude objective devant les faits, tout en révélant peu à peu la complexité et la difficulté du réel ; de manière à montrer en somme que rien n'est simple et qu'un problème n'est jamais achevé (.…) Il faut révéler à l'enfant que, dans la recherche de la vérité, qui est à tout prendre le couronnement de l'enseignement secondaire, la voie purement logique n'est pas la seule utilisable, qu'elle est même souvent en défaut, au moins en première apparence, et qu'une autre route est possible, la voie expérimentale."[cclxi].
En somme, il faut que le professeur permette à l'enfant de créer un certain nombre de mécanismes intellectuels par l'esprit d'observation, d'analogie et de généralisation. Il convient pour cela, qu'il se souvienne que l'enfant n'est ni un adulte en miniature, ni un adulte achevé, mais un être différent, ayant d'étape en étape une structure mentale propre. D'où son affirmation d'une méthode qu'il qualifie de naturelle parce qu'elle doit respecter le rythme de l'enfant, et progresser pour cela selon un principe de redécouverte des phénomènes allant du concret à l'abstrait. Trois temps sont ainsi mis en relief : "1° De l'enfant à l'adulte, la classe vivante  ; 2° Du connu à l'inconnu, la redécouverte ; 3° Du concret à l'abstrait, une méthode active"[cclxii].

  1. Première règle : de l'enfant à l'adulte

"Il faut rechercher, retrouver et reproduire sans cesse la démarche intellectuelle des enfants auxquels on s'adresse, sans jamais lui substituer notre démarche d'adulte"[cclxiii], ceci en vertu du fait que l'adulte étant plus instruit, donc en avance sur l'enfant, il ne doit pas brouiller son avancée par un apport trop riche d'informations — ce qu'il ne peut manquer de faire lors d'un cours dicté ou lorsqu'il transmet ce qu'il sait à l'enfant.
Il convient donc que le professeur s'enquière auprès des enfants de ce qu'ils savent, d'où l'absolue nécessité de disposer d'une classe vivante : "les professeurs ayant une grande expérience ou les professeurs nés peuvent arriver sans effort à reconstituer ou à prévoir la démarche enfantine ; mais d'autres ne peuvent guère y parvenir que par une enquête permanente auprès de leurs élèves et voilà pourquoi notre enseignement exige en général une classe vivante"[cclxiv]. A cette époque, dans le second degré, l'exigence de classe non silencieuse est relativement innovante du fait que, jusqu'alors, la qualité du professeur se jugeait à l'aune du silence obtenu dans sa classe. C'est exactement l'inverse que l'on recherche ici, sans bien sûr, aller à l'éclatement inconsidéré. La terminologie jadis négative de classe bruyante, devient ici positive : classe vivante. Le renversement est particulièrement significatif.
2. Du connu à l'inconnu ; la redécouverte
Le renversement opéré consiste à ne plus affirmer en préambule le savoir nouveau à transmettre, mais à commencer le cours à partir de ce que connaît déjà l'enfant. Car le postulat est ici qu'un enfant n'est pas un vase vide mais possède déjà ses propres connaissances : "En général, il n'y a rien qu'on n'enseigne à autrui qu'il ne sache déjà en quelque manière […] Il faut prendre comme base de départ, et dans l'état où elle se trouvent, les connaissances préalables que l'enfant possède déjà, soit parce qu'il les a héritées (connaissances ancestrales) [sic], soit parce qu'il les a acquises dans sa vie de chaque jour (connaissances quotidiennes) [sic] connaissances qui sont en majeure partie de nature expérimentale et auxquelles viennent s'ajouter, pour constituer au total le connu, les apports successifs des enseignements antérieurs […] Encore faut-il par une enquête liminaire déterminer, rassembler et redresser au besoin ces connaissances préalables"[cclxv].
Lazerges précise que les connaissances premières de l'enfant sont souvent erronées : "Il ne faut pas se dissimuler que cette connaissance de base est impure. D'origine expérimentale le plus souvent […] mais alors empirique, faite d'observations plus que d'expérimentations […] elle peut être chargée d'idées fausses au point de constituer, si on n'y prend garde, un véritable obstacle sur la route de la culture scientifique"[cclxvi]. Il insiste sur la nécessité d'en tenir compte, celles-ci constituant un élément à considérer obligatoirement par le professeur : "Vouloir ignorer un tel obstacle comme le font les méthodes dogmatiques, en ne se souciant nullement des connaissances préalables des élèves, est pour cette raison une erreur qui engage l'avenir lourdement ; Il faut […] reconnaître […] cet obstacle éventuel, le désorganiser s'il y a lieu, en procédant même parfois à une véritable catharsis comme on dirait en psychanalyse […] et voilà pourquoi la redécouverte est, de toute façon, une nécessité absolue dans l'enseignement scientifique"[cclxvii].
On reconnaîtra-là les idées de Bachelard sur la formation de l'esprit scientifique, avec les concepts de rupture, d'obstacles dans la formation des connaissance. Alors même que Bachelard, agrégé de philosophie, enseigne à la fois les sciences physiques de 1919 à 1930 ainsi que la philosophie dès 1922 à Bar sur Aube, il s'intéresse aux mécanismes de la formation du savoir. A 34 ans, il  fait paraître son Essai sur la connaissance approchée (1928) ; dix ans plus tard, il publie "La formation de l'esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective (1938), suivie la même année de La psychanalyse du feu. Il considère les connaissances premières comme des opinions fausses qu'il convient de détruire : "la science […]        s'oppose absolument à l'opinion[…]        on ne peut rien fonder sur l'opinion : il faut d'abord la détruire"[cclxviii]. D'où l'idée que l'on n'apprend que contre les idées premières. Il s'agit-là véritablement d'une rupture dans le passage de la connaissance quotidienne et première à la connaissance scientifique. Cette rupture est au cœur de l'élaboration de la connaissance, contrairement à l'accumulation de faits de la doctrine positiviste. Bachelard nie la neutralité du fait que les positivistes ont érigé en levier de la démarche : le fait étant à l'origine des lois. Dans sa Philosophie du non, il utilise pour cela une métaphore : "Deux hommes, s'ils veulent s'entendre vraiment, ont dû d'abord se contredire. La vérité est fille de la discussion et non pas fille de la sympathie"[cclxix]. Cette rupture n'est pas évidente, des obstacles s'interposent dans la démarche : "C'est en terme d'obstacles qu'il faut poser le problème de la connaissance scientifique. C'est dans l'acte même de connaître que nous montrerons des causes de stagnation et même de régression, c'est là que nous distinguerons des causes d'inertie que nous appellerons obstacles épistémologiques"[cclxx]. En somme, les personnalités qui prônent la méthode de redécouverte en science s'inspirent des idées bachelardiennes de la non‑linéarité de l'avancée de la pensée scientifique, en même temps que de la particularité de l'apprentissage. Ces idées caractérisent la réflexion pédagogique au milieu du siècle.
Pour l'enseignement scientifique dispensé au lycée, la redécouverte vantée par Lazerges a pour objectif de passer de l'observation de manière confuse parce que première, aux lois scientifiques qui régissent le phénomène, puis si possible à l'explication même de ce phénomène. De plus, au crédit de cette méthode, Lazerges fait remarquer que la connaissance des lois améliore nos possibilités et nous confère, en particulier, la faculté de prévoir. D'où sa conclusion : "La redécouverte que je viens de décrire, est appliquée dans l'enseignement secondaire, de façon plus ou moins systématique, depuis 30 ans au moins. J'ai vu personnellement un professeur la pratiquer avec un vif succès pendant mon stage d'agrégation et, depuis ces temps très anciens, elle n'a pu que prendre de l'extension."[cclxxi].
Cependant, dans son désir de persuader les professeurs, Lazerges tient à être crédible et attire leur attention sur un contresens à éviter : ne pas confondre découverte scientifique et redécouverte par l'élève. "La redécouverte [ne doit pas être confondue avec] la découverte pure et simple à partir de la table rase […]         [Il ne faut pas] faire découvrir par un enfant telle loi située en dehors de toute connaissance pré requise, ou lui faire inventer tel appareil de physique relativement compliqué ; alors qu'il s'agit, presque à l'opposé, de lui faire constater que cette loi  existe déjà dans sa connaissance confuse […]         Un élève de Première découvre ainsi, dans quatre ou cinq mesures rapides, la seconde loi de la réfraction que Képler a cherché vainement ! Si on essaie d'énoncer le principe scientifique sur lequel peuvent reposer de semblables excès, on en arrive à dire que "l'élève, enfant d'homme, doit pouvoir inventer ce que l'homme a inventé". On s'aperçoit alors qu'on commet la même erreur que dans l'ancienne pédagogie didactique, celle qui consiste à considérer l'enfant comme un adulte"[cclxxii]. On voit bien comment la méthode de redécouverte peut être déviée, c'est ce contre quoi Lazerges veut se prémunir.
Les conseils qu'il donne insistent sur la nécessité d'initier le travail des élèves par des faits simples et connus de l'enfant au lieu de proclamer les règles et les lois d'entrée : le cours doit s'appuyer sur les connaissances initiales des enfants, de manière à relier les phénomènes aux interrogations antérieures de l'enfant. Ainsi, dans l'exemple de la mécanique, le professeur doit commencer par étudier le poids des corps — qui lui est familier — plutôt que par l'énoncé abstrait des forces et du travail ; de même, pour les changements d'état, l'élève connaît bien l'ébullition de l'eau, ce par quoi il vaut mieux commencer, et ne traiter les changement d'états et la vaporisation dans le vide qu'à la fin. Car, la liaison avec le réel connu de l'enfant est indispensable à cette nouvelle méthode : il n'est pas question de faire sortir les lois du néant, à la façon d'un prestidigitateur.
 On assiste à un véritablement renversement des méthodes du professeur, lesquelles implique aussi un changement dans sa position professionnelle : au lieu d'apparaître comme le pourvoyeur de savoirs nobles et abstraits, le professeur doit être capable de faire dire aux enfants ce qu'ils savent. L'image du professeur érudit s'efface devant celle d'un homme qui aide l'enfant. Tous les professeurs ne sont pas encore prêts à ces bouleversements.

3° Du concret à l'abstrait, une méthode active


Pour que l'enfant soit actif et prenne plaisir à l'effort intellectuel, il convient, selon Lazerges, d'aborder ses intérêts spontanés. Selon lui, ce postulat est le caractère essentiel et commun de toutes les méthodes actives, voire, la définition même de la méthode. Si l'intérêt de l'enfant est déjà d'ordre intellectuel, il demeure, en grande partie au moins, d'ordre intellectuel concret : "Il faut donc avec obstination aller du concret à l'abstrait."[cclxxiii].
D'où la précaution à prendre quant à la définition du caractère concret pour un enfant : "[…]        il ne faut pas confondre le concret de l'enfant et le concret de l'adulte[…]        C'est l'éducation que nous avons reçue qui nous permet de passer inconsciemment, comme par un mouvement réflexe, du concret à l'abstrait ou inversement ; en sorte que bien des exercices que nous croyons concrets parce qu'ils évoquent des opérations matérielles, sont en réalité des abstractions pour des élèves de Seconde s'ils n'ont pas effectué eux-mêmes ces opérations, ou tout au moins s'ils ne les ont pas souvent et longuement vu effectuer"[cclxxiv], d'où la définition du fait concret pour un enfant "Un fait n'est  concret  pour un enfant que dans la mesure où il le connaît par son expérience personnelle"[cclxxv]. Et Lazerges de conclure : "Ainsi donc, de l'enfant à l'adulte ; du connu à l'inconnu, par la redécouverte traditionnelle autant que possible ; et du concret à l'abstrait ; voilà si l'on veut bien, trois règles naturelles, quand il s'agit du connu de l'enfant et du concret de l'enfant"[cclxxvi].
A ces mots connu/inconnu, concret/abstrait Lazerges oppose les termes de simple/complexe. Car souvent, "la règle du simple au complexe qu'on entend parfois prononcer à la légère n'est jamais apparue, même à l'état de trace, au cours de notre analyse. Effectivement, elle est contre‑indiquée dans notre discipline au niveau élémentaire que nous étudions. Elle ne serait concevable que dans un enseignement dogmatique ; car la démarche qu'elle propose est une démarche d'adulte, on le sait depuis longtemps (Ferdinand Buisson le faisait déjà observer dans la première édition du Dictionnaire de pédagogique (1901), il y a plus de cinquante ans […]        )[cclxxvii].
C'est toute la démarche d'enseignement des sciences physiques que l'inspecteur Lazerges met ainsi à plat, pour contrer les méthodes dogmatiques jusque-là employées par les professeurs. L'expérience de physique doit perdre son caractère historique et prototypique, pour acquérir un tour plus naturel, conduit par l'enfant au fur et à mesure de ses interrogations, dans une visée de redécouverte par lui-même, guidé par ses propres questionnements. Cependant, au-delà de ces principes, le rôle du maître demeure mal défini. D'ailleurs, Lazerges prévoit que celui-ci fasse encore des expériences en classe tout en ne pouvant éviter les déviations possibles : "l'attitude des élèves devant ces expériences est encore inquiétante. Certes, ils aiment voir des expériences et ils seraient affreusement déçus si leur professeur n'en faisait pas ; mais c'est en général pour des raisons étrangères à la physique et à la chimie. Il faut avoir le courage de s'en apercevoir : nos expériences mettent en jeu des intérêts ludiques beaucoup plus que des intérêts intellectuels. En particulier, le résultat de l'expérience est pratiquement indifférent aux élèves ; il ne leur arrive pour ainsi dire jamais de discuter sa valeur en tant que preuve, et on peut leur passer à cet égard toute la fausse monnaie[cclxxviii] qu'on voudra sans soulever de protestations. […] Ces élèves consentant sont un échec important sur un de nos principaux objectifs. Nous ne serons sûrs de donner un enseignement expérimental que lorsque nos élèves seront devant l'expérience en état permanent de rébellion, de rébellion intellectuelle s'entend."[cclxxix].
Ce texte traduit bien toute l'ambiguïté des recommandations de Lazerges. La démarche est présentée dans ses principes mais au niveau de l'application dans les cours, seules quelques recettes ou commentaires émaillent ici ou là les pratiques. L'expérience de cours est considérée comme nécessaire : qu'en est-il  de la pratique de redécouverte par l'enfant ? Comment maintenir un "spectacle expérimental" tout en exigeant un esprit critique ? Il est sûr que ces recommandations, pour intéressantes qu'elles soient, n'apportent pas véritablement de solutions aux professeurs. On devine bien que ceux‑ci vont tenter ici ou là quelques essais, sans résoudre les paradoxes de base, que sont les expériences de cours — une fois encore, considérées comme attendues, et donc nécessaires dans les cours. Comment "créer un esprit de rébellion vis-à-vis de la preuve expérimentale" ? Le professeur devra improviser, ou laisser faire. La question de la preuve expérimentale demeure en suspend. Prévoyant les protestations professorales devant la difficulté de pratiquer la méthode de la redécouverte, Lazerges moralise :  "Il est moins pénible de dicter un cours que d'enseigner ; […] il est moins pénible de ronronner, c'est-à-dire de vivre sur soi, comme un chat ronronne près du feu, que de rayonner, c'est-à-dire se donner aux autres. C'est probablement pour cette raison que le cours dicté, qui est la quintessence  des méthodes dogmatiques, a la vie si dure"[cclxxx].
Pendant vingt ans encore, cette ambiguïté des méthodes actives va perdurer : le cours de physique — après quelques tentatives d'introduction en travaux pratiques, que nous envisagerons dans le chapitre suivant — conserve sa structure traditionnelle. L'expérience de cours, toujours pérenne, introduit la leçon bien que parfois à mauvais escient : "Il faut des expériences, il faut les choisir, il faut qu'elles prouvent, il faut qu'elles soient effectuées au cours de l'exposé et au fur et à mesure qu'il se développe, aux points utiles, et non pas reléguées à la fin de la leçon, pour être alors exécutées en bloc ou en vrac par le professeur, quand ce n'est pas par un aide de laboratoire […] Des expériences ainsi groupées en fin de leçon n'ont, en effet, aucune signification, puisqu'elles ne sont pas intégrées dans l'exposé et puisqu'elles n'ont pas apporté au moment voulu la preuve ou l'illustration dont elle étaient susceptibles"[cclxxxi].
A côte de ce bon usage proclamé de l'expérience, Lazerges dénonce les errements en matière expérimentale : "Il y a encore […] des expériences qu'on appelle "expériences manquées". Ces expériences déshonorent notre enseignement et l'affaiblissent. Elles sont la principales cause de l'indifférence des enfants vis-à-vis de nos expériences, même réussies. En réalité, il n'y a pas d'expériences manquées, surtout en redécouverte : une expériences qui ne prouve pas ce qu'on attendait d'elle reste une expérience, qui prouve autre chose, et il faut en débattre […] déterminer la cause de l'échec, et recommencer l'expérience jusqu'au succès, le jour même ou en la rapportant à la classe suivante."[cclxxxii].
Aussi, peu à peu, une évolution s'amorce : l'expérience s'installe dans le cours. Elle se présente d'abord comme une expérience dite qualitative, c'est-à-dire, de mise en évidence concrète du phénomène, conformément à l'exigence de savoir concret et de connaissance première de l'enfant. Puis, à l'initiative du professeur, des variations, des mesures et des relevés faits en classe, fournissent des résultats qui permettent d'énoncer la loi par le professeur. L'expérience est alors dite quantitative (sous-entendue, expérience permettant la mathématisation).
L'initiative des années 1950 en matière de pédagogique de la redécouverte n'a pas rencontré un franc succès auprès des professeurs. Il y a fort à parier qu'une stimulation par la promesse de contrepartie professionnelle aurait pu amener certains à dépasser l'inertie régnante. L'inspection générale comptait bien d'une part, sur la bonne volonté professorale comme antidot de la frilosité enseignante, d'autre part sur l'engagement  du professeur au nom de sa vocation au service de l'enfant et de l'aspect déontologique d'une amélioration de la qualité de l'enseignement des sciences. Quelques essais ont eu lieu, vite éteints par l'habitude et le manque de technicité. La redécouverte prétendait mettre l'enfant au cœur de la démarche, contrairement à la pédagogie traditionnelle de la transmission des savoirs par le professeur. L'académisme de l'institution a vraisemblablement gommé cette façon d'appréhender l'enseignement par la redécouverte. D'ailleurs, même si le mot demeure dans les instructions officielles de physique de 1957, leur teneur montre déjà une orientation plus mathématique : "Une méthode de redécouverte se doit, sans s'appesantir si cela n'est pas utile, d'aborder systématiquement tous les facteurs possibles. Il est presque inutile de rappeler que les problèmes de tous ordres qui s'offriront, dans la vie, à nos élèves, devenus des hommes, ne seront pas des problèmes résolus, mais des problèmes à résoudre. La loi ainsi découverte et son expression en langage mathématique seront le couronnement de l'étude et l'occasion d'une contemplation du chemin accompli pour parvenir à ce sommet.[…]         L'enseignement de la Physique ne fournit pas seulement l'occasion de montrer comment s'opère la "redécouverte" des faits eux‑mêmes, mais aussi celle de leur agencement, de leur progression logique, de leur organisation ou de leur utilisation"[cclxxxiii].
 On voit comment, déjà dans les instructions officielles, la méthode de redécouverte se fond dans les considérations plus formelles. Il faut par ailleurs, faire remarquer combien cette question méthodologique de la redécouverte a régulièrement connu de nombreux détracteurs — les tenants de la méthode axiomatique — tels certains acteurs de la Réforme Lagarrigue dans les années 1970.  Car le malaise qui va alors s'étendre dans l'enseignement de la physique sera l'occasion d'un sursaut par les sociétés savantes scientifiques, initiant alors une nouvelle Réforme des sciences physiques.

III. Expérience et modèles explicatifs dans la Réforme Lagarrigue 


Durant les 20 années qui suivent la publication des textes sur la redécouverte en physique et la prise en compte de l'activité de l'élève au cours de l'apprentissage, il revient aux professeurs de mettre en application cette nouvelle méthode. Peu d'entre eux, pourtant, s'y consacrent : la plupart des professeurs continuent de dispenser, devant des élèves passifs, un enseignement fondé sur la démonstration expérimentale. Ils se réclament, en effet, d'une physique toujours expérimentale, même s'ils ont souvent conscience du caractère trop artificiel des expériences qu'ils proposent. L'inspection générale rappelle pourtant l'importance des expériences initiales de la vie courante, et diffuse aux nouveaux professeurs le texte alors emblématique de Lazerges tenant lieu de ligne de conduite à tenir[cclxxxiv] : "La connaissance confuse qui est la base de la redécouverte est le plus souvent d'ordre expérimental. La vie quotidienne fournit ainsi un très grand nombre d'expériences, des expériences gratuites […] autrement spectaculaires et probantes que bien d'autres réalisées dans nos amphithéâtres. Ces faits doivent être évoqués dans l'enquête liminaire de la méthode naturelle[cclxxxv], puisqu'ils constituent le connu ; mais les expériences que nous réalisons, ou que les élèves réalisent, permettent apporter ce connu dans nos murs, pour expérimenter sur lui, en ramenant au besoin à l'échelle de l'amphithéâtre ou de la salle de  cette grande expérience que la nature ou la vie quotidienne nous donne."[cclxxxvi]. En réalité, chaque nouvelle partie du programme comportait une brève allusion à la vie quotidienne, sorte d'introduction pour étonner. Ainsi, en optique, la réfraction était introduite par le baton qui a l'air cassé Cet nouvelle conception de la pédagogie des sciences aurait réclamé une formation continue systématique des professeurs, tant l'écart entre les exigences et l'habitude était grand. Or, même au niveau de l'année de préparation du CAPES (certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement secondaire) pratique, on ne trouvait trace chez les conseillers pédagogiques de la méthode de la redécouverte. Les seules occasions d'entendre parler de cette rénovation étaient les journées dites pédagogiques, menées par l'inspecteur général ou l'inspecteur pédagogique régional : journée symbolique, sorte de petite messe où les conseils étaient proférés sans discussion organisée. La conviction tenait lieu de formation.
La limite est ténue entre l'expérience nécessaire et l'expérience alibi. Les professeurs ont d'ailleurs souvent conscience de mener une caricature expérimentale en cours, leurs expériences servant de prétextes, ainsi que le raconte Cesbron dans Notre prison est un royaume : "Dès la rentrée le garçon s'était pris de passion pour le briquet à air, la machine pneumatique et tous ces instruments ténus et précieux, faits de bois verni, de verre, de cuivre, qui servaient en classe de physique à montrer des évidences. Sa vocation fut foudroyante […]         Ah ! Prouver la pesanteur des objets, la chaleur de l'eau bouillante, la fraîcheur de la glace […]         Poser, après mille préparatifs, un objet sur un plan incliné et le voir rouler comme prévu […] C'était dit : il serait professeur de sciences physiques"[cclxxxvii]. Et Lazerges, qui fait cette citation, de rappeler aux professeurs qu'il faut absolument ne pas faire d'expériences dont le résultat est déjà connu des enfants.


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