I. Aux origines de la physique scolaire
1. De la physique des systèmes comme philosophie naturelle dans les collèges de l’Ancien Régime
C’est dans les collèges de l’Ancien régime que naissent les
cours de physique. Car le cursus de philosophie ouvre après les deux ans d’enseignement,
sur la délivrance du « degré de maître es arts » obligatoire à l’entrée
des facultés supérieures — les seules trois existant alors étant théologie,
médecine et droit. La physique
n’existe pas alors comme matière autonome d’enseignement telle que nous la
connaissons aujourd’hui ; il s’agit plutôt d’une division du cursus de
philosophie qui comprend logique, éthique, métaphysique, physique — cette dernière
fait alors partie de la philosophie naturelle, domaine qui traite de la nature.
Elle est souvent enseignée par le régent de logique (un philosophe) faute de
physiciens dans les collèges — c’est pourquoi certains enseignants se spécialiseront
en physique notamment à Paris, dans les collèges dits séculiers.
La physique ne rencontre que peu de succès auprès des étudiants.
La classe de physique n'est fréquentée que par une minorité d'élèves, destinés
en général à la cléricature ou à la médecine. Au XVIIe siècle, sa situation se
stabilise, la physique succédant souvent à l'enseignement des mathématiques
dont l'image devient alors plus forte sans doute sous l'influence des chaires
royales de mathématiques.
Les manuels de physique n’existent pas : la leçon est
magistrale et dure en moyenne deux heures. Les professeurs sont censés faire
deux leçons par jour. Le professeur dicte aux étudiants un texte préparé à
l'avance — comme un extrait d’Aristote — ceux-ci le prennent en note, puis le
maître développe un thème ou une question particulière. Quelques archives de
cours — toujours en latin —
montrent qu’il s'agit bien d'une "philosophie naturelle" qui mêle
les sciences et les mathématiques à la philosophie. L'expérience n'a aucun rôle
à jouer : la méthode est philosophique. C'est une "physique des systèmes" :
en quelque sorte la vision philosophique du monde des grands philosophes que
sont Aristote, puis St Thomas d’Aquin (aristotélisme médiéval) et à partir du
XVIIe siècle, Descartes.
La structure du cours de physique reposera longtemps sur les
traités d'Aristote. On aborde d’abord la physique générale — réflexion
importante sur la nature du mouvement et de l'étude de la matière, du
lieu, du vide, du temps, et des causes —
puis la physique particulière — qui traite de l'univers, de la terre et
des planètes, des phénomènes météorologiques, à la nature de la vie et de la
sensation. Les conceptions aristotéliciennes reposent sur l'infériorité du
monde sublunaire contrairement au caractère parfait du monde céleste que lui
confère son immuabilité. La théorie des tourbillons de Descartes leur succède
lorsque le physique newtonienne tente de s’imposer en France au XVIIIe siècle.
Les discussions philosophiques sont lentement reléguées au profit de méthodes
plus scientifiques : en témoigne la vente de cahiers en blanc pour
recueillir la dictée des cours, comportant des feuillets imprimés pour les
figures des appareils expérimentaux.
2. Constitution d’une discipline nouvelle : la physique et chimie expérimentales dans les écoles centrales de la Révolution Française
C’est que différentes influences orientent l’évolution de
l’enseignement de la physique. D’une part, mi XVIIIe siècle, une physique dite « physique
expérimentale » connaît une diffusion sans précédent sous l’influence de
l’Abbé Nollet. D’autre part, l'expulsion des jésuites qui entraîne le départ de
bons nombres d’enseignants des collèges. Et enfin l’irruption de Révolution
Française dont les idéaux en faveur de la science et du savoir comme source du
bonheur de l’homme, vont favoriser
l’émergence d’une nouvelle discipline « la physique et chimie expérimentales
dans les écoles centrales de la Révolution Française ».
II. La lente institutionnalisation d’un enseignement de
sciences expérimentales toujours marginal, tout au long du XIXe siècle
1. La création des chaires de physique dans les lycées
napoléoniens, comme nécessaire démarcation d’avec les mathématiques
2. Hégémonie des humanités, marginalité et instabilité
des sciences physiques dans les lycées et collèges au XIXe siècle
III. Quelle physique scolaire du XIXe siècle au tournant
des années 1950 ?
1. Physique
d’érudit : encyclopédisme, approche culturelle
2. Physique pour scientifiques : dogmatisme et
histoire
3. La physique « pratique » en
questions pour les professions intermédiaires : naissance de premiers
travaux pratiques
4. Enseignement secondaire et image sociale de la
physique : un décalage
Un enseignement secondaire au service de la reproduction des élites
Les notables et la formation scientifique en France au XIXe siècle.
la question de l'ingénieur
Valeurs bourgeoises et enseignement des sciences ?
Il apparaît donc, que l'enseignement de la physique n'a de sens
que pour la petite minorité qui choisira de devenir professeur de sciences ou
polytechnicien, médecin ou chercheur[1].
Pour les autres, l'étude de la physique procède de la connaissance générale
qu'un notable se doit d'avoir. L'étude de la nature est, dans ce cadre,
indispensable, tout comme la réflexion philosophique à laquelle elle était
anciennement liée. De plus, le positivisme se développe, connaissant son apogée
vers la fin du siècle et porté par des personnalités différentes, comme Pasteur, Renan, Berthelot ou Ferry. Il n'est pas envisageable
pour un notable, de demeurer à l'écart de ce mouvement. Son identité, même, en
dépend. Il faut donc admettre que l'enseignement de la physique se maintient, à
la fois pour des raisons culturelles et historiques, mais aussi du fait que la
science s'impose de jour en jour, importance qui ne va pourtant pas jusqu'à
changer le système éducatif secondaire. Car on considère que seules les humanités
forment l'individu et qu'un enseignement de sciences, parce qu'il ignore
l'esprit de finesse, ne peut prétendre qu'à être un complément de cette
culture. Ce postulat, fermement ancré dans la mentalité du XIXe, conforte un
solide conservatisme social qui s'accorde à l'apparente inutilité d'un
enseignement scientifique trop développé, dont l'absence sera fortement dénoncée
après la défaite de 1870. Cette double raison, culture par les humanités et
importance de la science, explique sans doute le maintien d'un enseignement de
physique dans l'enseignement secondaire classique mais aussi sa marginalité.
5. La réforme de 1902 pour un humanisme scientifique : une physique inductive, immédiate et éducatrice
IV. Physique et pédagogies nouvelles
1. Redécouverte, Voie expérimentale et méthode naturelle
2. Expérimentation et modèles explicatifs dans la réforme
Lagarrigue
V. Réflexions en guise de conclusion
causes d'échec de l'enseignement de la physique
Valoriser l'entraînement aux modes contemporains de
raisonnement des sciences physiques : modèles plutôt qu'axiomes, va-et-vient théorie
/ pratique
L’édification d’un enseignement scientifique est une
construction sociale, progressive et lente qui suppose — outre les problèmes
idéologiques et d’organisation, de corps professoral, de cursus, de légitimation
et de validation — une bonne identification des spécificités de la science à
enseigner et des besoins sociaux, scientifiques ou économiques de la nation,
ainsi qu’une mise en place de méthodes pédagogiques satisfaisantes à chaque époque.
Une telle approche, simple en apparence, cache en plus d’autres problèmes :
chaque science se modifie dans le temps — nouvelles découvertes et nouveaux
savoirs — pendant que la société est le siège d’enjeux de pouvoirs et d’idéologies,
tout en devant adapter ses formations aux nouveaux besoins.
L'enseignement scientifique expérimental, aujourd'hui
solidement établi dans l'enseignement secondaire, ne s'est installé que
progressivement tout au long du XIXe siècle. Issu de l'enseignement
philosophique des collèges de l'Ancien régime, l'enseignement de la physique
est jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, constitutif de la philosophie naturelle.
Il permet à l'étudiant de se préparer à une formation générale secondaire, le
plus souvent tournée vers des études de théologie ou de médecine. Lorsque
intervient la Révolution, une réforme de l'enseignement est mise en place qui
voit la création des écoles centrales sur la base des anciens collèges supprimés.
Les changements introduits témoignent d'une volonté de rompre avec les méthodes
anciennes.
1. La place de la physique dans les établissements
scolaires au XIXe siècle
Une discipline philosophique dans les collèges de
l’Ancien Régime
Dans les collèges de l'Ancien régime — sortes d’internats pour élèves
boursiers — les cours de physique relèvent d'un enseignement de
philosophie qui dure deux ans et comprend
logique, éthique, métaphysique, physique[i].
L’enseignement est donné en latin. Il doit principalement préparer à l’entrée
de la faculté de théologie ou parfois de médecine (celle de droit n’étant pas
concernée par la physique). Pas de
manuels de physique, la leçon (de 2h) est magistrale : dictée,
développement, questions, ce canevas existe jusqu’à la moitié du XVIIe siècle.
Le professeur dicte un texte préparé à l'avance que les étudiants prennent en
note puis, il développe un thème ou une question particulière. Par une série de
questions et réponses, le professeur s'assure qu'ils ont compris : ce
cours est de type argumentatif sans rapport avec le phénomène expérimental.
Plus tard, le cours devient totalement dicté, et peu à peu donné en français
sous la forme d’une question scolastique : présentation des théories des
philosophes sur chacun des sujets, discussion puis réfutation ou acceptation
suivant les cas. Cette présentation de la physique est couramment appelée
physique des systèmes. Cette méthode se retrouve en
physique dans l'étude du système du monde, à propos du conflit
« héliocentrisme - géocentrisme ».
Ce n’est que vers 1720 que l’on trouve ici ou là, mentionnées
en marge des cahiers, de rares expériences faites en fin de cours. Le cas du
collège d'Harcourt constitue, au début du XVIIIe siècle, un exemple de
structure ordinaire en trois parties qui s’inspire — comme généralement à
cette époque — de la trame aristotélicienne : une physique générale (des corps, de la
matière et du mouvement), la
physique particulière (l'hydrostatique, de l'optique), puis les systèmes du
monde, mouvements des astres, enfin les quatre éléments naturels.
Réflexion presque métaphysique sur la
substance et la matière, un traitement mathématique du mouvement et de ses lois, et l'étude du vivant :
cette physique est bien une "philosophie naturelle" qui mêle sciences, mathématiques et philosophie. C’est une « physique
des systèmes », ou physique philosophique.
Le cartésianisme ne s'impose vraiment qu'à la fin du XVIIe siècle
chez les oratoriens, et, avec de grandes réticences au XVIIIe siècle chez les jésuites :
durant la première moitié du siècle, les jésuites font du système cartésien leur fer de lance
contre le newtonisme, refusant l'expérimentation systématique lié à la
physique de Newton ainsi que la formalisation.
Le XVIIIe siècle voit ainsi s'affronter les tenants de l'ancien
système et ceux de la nouvelle physique.
Nos travaux nous conduisent à considérer que la physique
enseignée, en tant que science exacte, est née dans des collèges séculiers (non
soumis à la règle d’une congrégation religieuse) de la fin du XVIIIe siècle comme
conséquence de la montée des Lumières.
Issu de l'enseignement philosophique des collèges de l'Ancien régime,
l'enseignement de la physique est jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, constitutif
de la philosophie naturelle. Il permet à l'étudiant de se préparer à une
formation générale secondaire, le plus souvent tournée vers des études de théologie
ou de médecine. Les universités disposent alors du monopole de l'enseignement
des sciences fondamentales : théologie, droit, médecine et philosophie. À
partir de 1500, des collèges (jésuites et oratoriens) dits de plein exercice —
sortes d’internats devenus établissement d'enseignement autorisés et bien fréquentés
— vont embrasser tout le cycle des études en ouvrant des classes de
philosophie, qui préparent obligatoirement aux trois facultés supérieures. Il
s’en suit que dans les collèges des congrégations de l’Ancien régime, la
physique s’enseigne dans le cursus de philosophie avec ses démarches et ses méthodes.
Le cas de l’enseignement des sciences physiques se situe dans
ce contexte : tenant lieu de modèle de savoir scientifique, La Physique
d’Aristote (384 - 322 av J.C.) marque l’enseignement de la première philosophie
de la nature pendant plusieurs siècles — même après que le modèle de Copernic a
changé la vision du monde. On enseigne une physique dite « physique des
systèmes » (sous-entendu, celle des systèmes philosophiques
successifs : après la conception aristotélicienne, vient la physique cartésienne).
L’avènement de la physique newtonienne fin XVIIIe siècle n’intervient que dans
certains grands collèges séculiers (Paris et rares villes de province) et
installera un tournant important dans la présentation de la physique.
C’est avec La physique devient d’une part une « physique
expérimentale » où l’expérience est mise en avant et constitue le pivot de
ce que l’on nommera « la démonstration de physique » : faire
comprendre les phénomènes naturels c’est montrer des expériences, c’est démontrer
par l’expérience (on dirait aujourd’hui, par une manipulation). La vogue de
cette « physique expérimentale » ne cesse de grandir, pour laquelle
se passionne un public de plus en plus nombreux. Et avec elle, les instruments
scientifiques qui permettent d'expliquer et de vulgariser la science, d'où le
nom de cabinet de physique dont l’un des plus célèbres est celui de l'abbé
Nollet : Nollet installe son célèbre cabinet de physique au retour d'un voyage à
Londres en 1734, où il fait la connaissance de Desaguliers (1683 - 1744)
un anglais qui vulgarise les idées newtoniennes, à l'origine de la nouvelle
physique. Dans son cabinet de physique, Nollet lance la promotion de la
physique expérimentale : il y donne pendant neuf ans, un cours qui rencontre un
grand succès[2].
D’autre part, une conception plus mathématique de la physique
s’impose en même temps dans certains collèges parisiens (séculiers) sous
l’influence des idées newtoniennes, avec la mathématisation de la gravitation.
Ainsi se met en place une dualité dans l’enseignement de la physique qui, des
expériences et des phénomènes exposés ou de leur mathématisation, va ajouter
aux difficultés et obstacles d’ordre idéologique qui freineront son développement
au cours du XIXe siècle suivant.
Lorsque prend naissance un enseignement de « physique et chimie expérimentales » comme science moderne en 1795
dans les écoles centrales de la Révolution française, les autorités prennent
alors soin de spécifier qu'il s'agit bien de sciences expérimentales, montrant par là leur volonté
de placer l'expérience au cœur de l'enseignement. Si
l'expérience est au cœur de
l'enseignement, la méthode n'en demeure pas moins toujours magistrale.
Quelques cours manuscrits (conservés aux Archives nationales) montrent une
forme discursive et traditionnelle des cours : énoncé de la propriété puis
seulement à la fin, expérience de validation. Seule la mécanique — quantité de
mouvement et chute libre des corps — est présentée à l’aide d’équations mathématiques.
On distingue alors trois parties dans le cours : la physique générale
(propriétés générales de la matière, mécanique, hydrostatique), la physique
particulière (électrostatique appelée alors « électricité »),
optique,
Rôles de l’enseignement de la physique
L’étude de la physique comme philosophie de la nature, jusqu’au
XVIIe siècle, porte sur les systèmes du monde ; l’enseignement s’inscrit
dans une visée militante d'adhésion au dogme chrétien essentiellement pour les études
de théologie (les études de médecine encore très minoritaires devant les études
de droit). En somme, il faut savoir décrire le monde pour mieux persuader de
l’existence divine.
La reconnaissance officielle comme discipline scolaire, prend
effet dans les écoles centrales, où, pour la première fois, la physique est
associée à la chimie, constituant ensemble une discipline nouvelle : les
sciences physiques. Nous montrerons dans le deuxième chapitre que cette
naissance de la discipline est autant liée à l'exigence de promotion des
sciences par les instances révolutionnaires, qu'à la naissance de la nouvelle
chimie, elle même liée aux manipulations. Pour la première fois les cabinets de
physique et les laboratoires de chimie sont officiellement installés dans les établissements
secondaires. On peut donc considérer l'expérience des écoles centrales comme
une première naissance de la discipline.
La situation de la physique dans les lycées qui sont installés
sous le Consulat fait encore une place aux sciences physiques. La création des
chaires institutionnalise la discipline. Mais, ensuite, on constate par une étude
des masses horaires de la physique dans les lycées, une position marginale de
celle‑ci tout au long du siècle. D'où notre interrogation dans le troisième
chapitre, sur les raisons de cet état de fait, qui nous amènera à conclure que
l'enseignement de la physique aux enfants de la bourgeoisie n'est qu'une parure
intellectuelle, et que la formation d'ingénieur (de production) est alors une
question qui ne se pose pas, les élites scientifiques étant ‑ en
nombre restreint mais suffisant - formées dans la filière scientifique spéciale
des lycées. L'étude de l'organisation instable de l'enseignement des sciences
confirmera cette conclusion dans le quatrième chapitre, en montrant qu'aucune
situation d'importance n'est accordée à la physique. Nous soulignerons en même
temps, le rôle de certaines personnalités dans l'évolution de l'enseignement
des sciences.
Nous consacrerons le cinquième chapitre à la
professionnalisation de la discipline en montrant qu'elle est surtout effective
à partir du Second Empire et qu'elle paraît jouer un rôle important dans le
maintien des sciences physiques au lycée. On retiendra aussi que cette période,
marquée par l'influence saint‑simonienne, aura non seulement organisé la
profession, mais aussi tenté la deuxième expérience, après les écoles
centrales, de la promotion des sciences dans l'enseignement secondaire. Les
premières instructions officielles qui en sortent marquent l'enseignement de la
physique pour tout le demi‑siècle. Nous en verrons, avec les sixième et septième
chapitres, les traits généraux : encyclopédisme, dogmatisme, approche
historique et phénoménologique qui imprégneront pendant longtemps la physique
de l'enseignement secondaire.
Les chapitres, 7, 8, et 9
montreront comment, d'une discipline dogmatique et descriptive, on est passé à
une discipline dont la démarche d'étude rompt avec la déductivité au profit de
celle, inductive, d'une démarche expérimentale aux outils expérimentaux et mathématiques.
Ce cheminement s'accomplira progressivement, d'abord par la naissance à la fin
du Second Empire, d'un enseignement secondaire spécial, enseignement pratique
et court, qui répond à une demande sociale spécifique tout en étant implanté
dans les lycées et les collèges. Peu à peu, à la faveur d'une ambition sociale
et d'un contexte politique reposant sur davantage de démocratie, cet
enseignement devient un enseignement secondaire à part entière, doté de son
baccalauréat malgré l'absence de langues anciennes : c'est l'enseignement
moderne. Véritable choc culturel, mais aussi réponse à l'industrialisation et à
la montées de nouvelles couches, cet enseignement cohabite difficilement avec
l'enseignement classique, d'où son malaise. Aussi, en 1902, intervient un plan
de réforme qui, en unifiant l'enseignement secondaire, réforme les
enseignements scientifiques, essentiellement sur la question des méthodes et la
répartition progressive des contenus. Pour la physique, cette réforme marque
une étape importante en lui donnant les traits principaux que l'on retrouve
encore aujourd'hui : démarche inductive, outils mathématiques, mais
surtout, des exercices pratiques, ancêtres de nos travaux pratiques. Aussi faut‑il
voir dans cette réforme, la deuxième naissance de la discipline.
Jusqu'au XVIe siècle, les universités disposent du monopole de
l'enseignement des sciences fondamentales : théologie, droit, médecine et
philosophie. La philosophie — sorte de propédeutique aux trois autres sciences
— est obligatoire pour tous les étudiants. À partir de 1500, elle s’enseigne
peu à peu dans les collèges — jusque-là, des sortes d’internats pour boursiers
et pensionnaires pauvres qui parfois fréquentent aussi la faculté des Arts, d’où
leur nom d’artiste ou d’artiens. La philosophie devient ainsi, à l’initiative
des congrégations religieuses (jésuites et oratoriens créent les premiers collèges
d’enseignement), une sorte de préparation à l’entrée aux Facultés supérieures.
Les plus fréquentés de ces collèges deviennent les seuls autorisés à cette préparation.
La classe de philosophie devient emblématique de l’accès à l’enseignement des
facultés de droit, médecine et théologie.
Une philosophie de la nature
Le cas de l’enseignement des sciences physiques se situe dans
ce contexte : tenant lieu de modèle de savoir scientifique, La Physique
d’Aristote (384 - 322 av J.C.) constitue pendant plusieurs siècles la première
philosophie de la nature. La physique d’Aristote relève d’un système
philosophique enseigné dans les collèges, dès leur création : son objet
est la recherche des causes des phénomènes. Les mathématiques n’y ont donc
aucune place, sauf en ce qui concerne les formes géométriques, les grandeurs
(que nous dirions « physiques ») ou les mouvements célestes — par
essence parfaits donc mathématisables. La théorie des qualités — qui explique
par exemple, qu’il est dans la nature du solide d’être dur et par conséquent de
tomber — se dispense d’explication par les mathématiques.
Jusqu’au XVIe voire XVIIe siècle, l’enseignement de la physique
consiste en une « Physique des systèmes », c’est-à-dire, une approche
philosophique du monde telle que la conçoivent successivement Aristote
puis Descartes, les deux référence de l’époque en matière d’enseignement de la
philosophie. Cette présentation perdure même après que le modèle de Copernic se
soit scientifiquement imposé. Des nouveautés scientifiques sont introduites,
telles la chute des corps, la quantité de mouvement, l’optique, toutes déjà présentées
mathématiquement selon les conceptions de Galilée. L’expérimentation promue par
Torricelli, Pascal, Boyle — pour ne citer que les plus illustres — ne fait pas
encore partie du cursus scientifique.
Ce n’est qu’avec le triomphe de la physique newtonienne et de
ses répercussions en Europe, que la présentation de la physique connaît un
tournant important. Nous la devons à un vulgarisateur de talent, l’Abbé Nollet,
lequel au milieu du XVIIIe siècle, constitue un acteur essentiel dans la
diffusion de cette physique. Avec ses cours de physique expérimentale à l’époque
des Lumières dans les salons fréquentés par savants, musiciens, philosophes,
lettrés, nobles — en particulier les femmes — il invente des instruments
scientifiques qu’il fait construire. Pour la première fois la place et le rôle
de l’expérience, mais aussi la mathématisation des phénomènes, sont introduits
pour la compréhension en cours.
Ainsi apparaît d’une part, une physique dite « physique
expérimentale » enseignée à l’aide d’instruments de démonstration, d’autre
part, une conception mathématique de la physique — défendue par les seuls
professeurs des collèges séculiers de Paris. Une dualité se met en place :
De philosophie de la nature, la physique enseignée devient à la fois une
physique des expériences, et une mathématisation des phénomènes exposés.
Difficultés et obstacles idéologiques vont freiner son développement.
Notre travail
s'organise autour de quatre parties qui lui donnent sens : dans la
première nous étudions la naissance de la physique comme science objective
caractérisée pour la première fois par l'expérience, et dont la mise en œuvre
institutionnelle aura assuré la naissance des sciences physiques comme
discipline scolaire. La deuxième partie suit la lente institution de cette
discipline au cours du XIXe siècle tout en proposant un modèle explicatif de sa
position toujours mineure dans les plans d'études de l'enseignement secondaire.
Les caractères de la physique enseignée nous renseignent dans la troisième
partie, sur la cohérence établie entre société et type d'enseignement. Enfin,
la dernière partie montre comment la réforme du système éducatif en s'adaptant
aux demandes sociales et économiques, modifie la physique enseignée, et
instaure une physique du spécialiste plutôt que celle de l'érudit.
À l’issue du premier chapitre, nous pensons que la physique en
tant que science exacte et non philosophique est née dans des collèges séculiers
de la fin du XVIIIe siècle. Nous y voyons une conséquence de la montée des Lumières.
En effet, dans les collèges d'Ancien régime, la physique, partie de la
philosophie, en adoptait les démarches et les méthodes. Son étude inscrite dans
la philosophie de la nature devait nourrir la réflexion philosophique. La
connaissance portait surtout sur les systèmes du monde dans une visée militante
d'adhésion au dogme chrétien. L'arrivée des théories newtoniennes en France et
leur diffusion, même lente, donne à cette discipline un aspect expérimental qui
lui restera toujours attaché. En même temps que lui, l'aspect mathématique se développe,
dont l'excès aujourd'hui est connu. On peut donc considérer la séparation
d'avec la philosophie comme une première émergence de la physique comme
science, et non plus comme une philosophie de la nature.
Sa reconnaissance officielle comme discipline scolaire prend
effet dans les écoles centrales, où, pour la première fois, la physique est
associée à la chimie, constituant ensemble une discipline nouvelle : les
sciences physiques. Nous montrerons dans le deuxième chapitre que cette
naissance de la discipline est autant liée à l'exigence de promotion des
sciences par les instances révolutionnaires, qu'à la naissance de la nouvelle
chimie, elle-même liée aux manipulations. Pour la première fois les cabinets de
physique et les laboratoires de chimie sont officiellement installés dans les établissements
secondaires. On peut donc considérer l'expérience des écoles centrales comme
une première naissance de la discipline.
Dans le troisième chapitre, sur les raisons de cet état de
fait, qui nous conduirons à conclure que l'enseignement de la physique aux
enfants de la bourgeoisie n'est qu'une parure intellectuelle,
La professionnalisation de la discipline en montrant qu'elle
est surtout effective à partir du Second Empire et qu'elle paraît jouer un rôle
important dans le maintien des sciences physiques au lycée. On retiendra aussi
que cette période, marquée par l'influence saint‑simonienne, aura non seulement
organisé la profession, mais aussi tenté la deuxième expérience, après les écoles
centrales, de la promotion des sciences dans l'enseignement secondaire. Les
premières instructions officielles qui en sortent marquent l'enseignement de la
physique pour tout le demi‑siècle. Nous en verrons, avec les sixième et septième
chapitres, les traits généraux : encyclopédisme, dogmatisme, approche
historique et phénoménologique qui imprégneront pendant longtemps la physique de
l'enseignement secondaire.
Peu à peu, à la faveur d'une ambition sociale et d'un contexte
politique reposant sur davantage de démocratie, cet enseignement devient un
enseignement secondaire à part entière, doté de son baccalauréat malgré
l'absence de langues anciennes : c'est l'enseignement moderne. Véritable
choc culturel, mais aussi réponse à l'industrialisation et à la montée de
nouvelles couches, cet enseignement cohabite difficilement avec l'enseignement
classique, d'où son malaise
Aussi, en 1902, intervient un plan de réforme qui, en unifiant
l'enseignement secondaire, réforme les enseignements scientifiques,
essentiellement sur la question des méthodes et la répartition progressive des
contenus. Pour la physique, cette réforme marque une étape importante en lui
donnant les traits principaux que l'on retrouve encore aujourd'hui : démarche
inductive, outils mathématiques, mais surtout, des exercices pratiques, ancêtres
de nos travaux pratiques. Aussi faut‑il voir dans cette réforme, la deuxième naissance
de la discipline.
[1] La physique figure dans
certains programmes des concours d'admission aux écoles du gouvernement : celui
de l’École normale pour la section sciences et de l’École polytechnique à
partir de 1846. L’École centrale exige aussi des connaissances en physique pour
l'admission.
[2]
La chimie n’existe pas encore séparée de la physique : il revient à la Révolution
française et au groupe d’Arcueil — Lavoisier et ses épigones — de fonder la
chimie telle que nous la connaissons, comme science autonome rejetant le
phlogistique, et l’alchimie au profit d’une vision rationnelle de son
enseignement.

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