samedi 13 avril 2013

DE LA PHILOSOPHIE AUX SCIENCES PHYSIQUES : GENÈSE D’UNE DISCIPLINE SCOLAIRE EXPÉRIMENTALE




I. Aux origines de la physique scolaire

1. De la physique des systèmes comme philosophie naturelle dans les collèges de l’Ancien Régime


C’est dans les collèges de l’Ancien régime que naissent les cours de physique. Car le cursus de philosophie ouvre après les deux ans d’enseignement, sur la délivrance du « degré de maître es arts » obligatoire à l’entrée des facultés supérieures — les seules trois existant alors étant théologie, médecine et droit.  La physique n’existe pas alors comme matière autonome d’enseignement telle que nous la connaissons aujourd’hui ; il s’agit plutôt d’une division du cursus de philosophie qui comprend logique, éthique, métaphysique, physique — cette dernière fait alors partie de la philosophie naturelle, domaine qui traite de la nature. Elle est souvent enseignée par le régent de logique (un philosophe) faute de physiciens dans les collèges — c’est pourquoi certains enseignants se spécialiseront en physique notamment à Paris, dans les collèges dits séculiers.
La physique ne rencontre que peu de succès auprès des étudiants. La classe de physique n'est fréquentée que par une minorité d'élèves, destinés en général à la cléricature ou à la médecine. Au XVIIe siècle, sa situation se stabilise, la physique succédant souvent à l'enseignement des mathématiques dont l'image devient alors plus forte sans doute sous l'influence des chaires royales de mathématiques. 
Les manuels de physique n’existent pas : la leçon est magistrale et dure en moyenne deux heures. Les professeurs sont censés faire deux leçons par jour. Le professeur dicte aux étudiants un texte préparé à l'avance — comme un extrait d’Aristote — ceux-ci le prennent en note, puis le maître développe un thème ou une question particulière. Quelques archives de cours — toujours en latin —  montrent qu’il s'agit bien d'une "philosophie naturelle" qui mêle les sciences et les mathématiques à la philosophie. L'expérience n'a aucun rôle à jouer : la méthode est philosophique. C'est une "physique des systèmes" : en quelque sorte la vision philosophique du monde des grands philosophes que sont Aristote, puis St Thomas d’Aquin (aristotélisme médiéval) et à partir du XVIIe siècle, Descartes.
La structure du cours de physique reposera longtemps sur les traités d'Aristote. On aborde d’abord la physique générale — réflexion importante sur la nature du mouvement et de l'étude de la matière, du lieu, du vide, du temps, et des causes —  puis la physique particulière — qui traite de l'univers, de la terre et des planètes, des phénomènes météorologiques, à la nature de la vie et de la sensation. Les conceptions aristotéliciennes reposent sur l'infériorité du monde sublunaire contrairement au caractère parfait du monde céleste que lui confère son immuabilité. La théorie des tourbillons de Descartes leur succède lorsque le physique newtonienne tente de s’imposer en France au XVIIIe siècle. Les discussions philosophiques sont lentement reléguées au profit de méthodes plus scientifiques : en témoigne la vente de cahiers en blanc pour recueillir la dictée des cours, comportant des feuillets imprimés pour les figures des appareils expérimentaux.

2. Constitution d’une discipline nouvelle : la physique et chimie expérimentales dans les écoles centrales de la Révolution Française


C’est que différentes influences orientent l’évolution de l’enseignement de la physique. D’une part, mi XVIIIe siècle, une physique dite « physique expérimentale » connaît une diffusion sans précédent sous l’influence de l’Abbé Nollet. D’autre part, l'expulsion des jésuites qui entraîne le départ de bons nombres d’enseignants des collèges. Et enfin l’irruption de Révolution Française dont les idéaux en faveur de la science et du savoir comme source du bonheur de l’homme,  vont favoriser l’émergence d’une nouvelle discipline « la physique et chimie expérimentales dans les écoles centrales de la Révolution Française ».


II. La lente institutionnalisation d’un enseignement de sciences expérimentales toujours marginal, tout au long du XIXe siècle
1. La création des chaires de physique dans les lycées napoléoniens, comme nécessaire démarcation d’avec les mathématiques


2. Hégémonie des humanités, marginalité et instabilité des sciences physiques dans les lycées et collèges au XIXe siècle

III. Quelle physique scolaire du XIXe siècle au tournant des années 1950 ?

1.  Physique d’érudit : encyclopédisme, approche culturelle
 2. Physique pour scientifiques : dogmatisme et histoire
 3. La physique « pratique » en questions pour les professions intermédiaires : naissance de premiers travaux pratiques
 
4. Enseignement secondaire et image sociale de la physique : un décalage


Un enseignement secondaire au service de la reproduction des élites 
Les notables et la formation scientifique en France au XIXe siècle. 
la question de l'ingénieur
Valeurs bourgeoises et enseignement des sciences ?

Il apparaît donc, que l'enseignement de la physique n'a de sens que pour la petite minorité qui choisira de devenir professeur de sciences ou polytechnicien, médecin ou chercheur[1]. Pour les autres, l'étude de la physique procède de la connaissance générale qu'un notable se doit d'avoir. L'étude de la nature est, dans ce cadre, indispensable, tout comme la réflexion philosophique à laquelle elle était anciennement liée. De plus, le positivisme se développe, connaissant son apogée vers la fin du siècle et porté par des personnalités différentes, comme Pasteur, Renan, Berthelot ou Ferry. Il n'est pas envisageable pour un notable, de demeurer à l'écart de ce mouvement. Son identité, même, en dépend. Il faut donc admettre que l'enseignement de la physique se maintient, à la fois pour des raisons culturelles et historiques, mais aussi du fait que la science s'impose de jour en jour, importance qui ne va pourtant pas jusqu'à changer le système éducatif secondaire. Car on considère que seules les humanités forment l'individu et qu'un enseignement de sciences, parce qu'il ignore l'esprit de finesse, ne peut prétendre qu'à être un complément de cette culture. Ce postulat, fermement ancré dans la mentalité du XIXe, conforte un solide conservatisme social qui s'accorde à l'apparente inutilité d'un enseignement scientifique trop développé, dont l'absence sera fortement dénoncée après la défaite de 1870. Cette double raison, culture par les humanités et importance de la science, explique sans doute le maintien d'un enseignement de physique dans l'enseignement secondaire classique mais aussi sa marginalité.

5. La réforme de 1902 pour un humanisme scientifique : une physique inductive, immédiate et éducatrice 

IV. Physique et pédagogies nouvelles

1. Redécouverte, Voie expérimentale et méthode naturelle

 2. Expérimentation et modèles explicatifs dans la réforme Lagarrigue

V. Réflexions en guise de conclusion


causes d'échec de l'enseignement de la physique
Valoriser l'entraînement aux modes contemporains de raisonnement des sciences physiques : modèles plutôt qu'axiomes, va-et-vient théorie / pratique

L’édification d’un enseignement scientifique est une construction sociale, progressive et lente qui suppose — outre les problèmes idéologiques et d’organisation, de corps professoral, de cursus, de légitimation et de validation — une bonne identification des spécificités de la science à enseigner et des besoins sociaux, scientifiques ou économiques de la nation, ainsi qu’une mise en place de méthodes pédagogiques satisfaisantes à chaque époque. Une telle approche, simple en apparence, cache en plus d’autres problèmes : chaque science se modifie dans le temps — nouvelles découvertes et nouveaux savoirs — pendant que la société est le siège d’enjeux de pouvoirs et d’idéologies, tout en devant adapter ses formations aux nouveaux besoins.
L'enseignement scientifique expérimental, aujourd'hui solidement établi dans l'enseignement secondaire, ne s'est installé que progressivement tout au long du XIXe siècle. Issu de l'enseignement philosophique des collèges de l'Ancien régime, l'enseignement de la physique est jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, constitutif de la philosophie naturelle. Il permet à l'étudiant de se préparer à une formation générale secondaire, le plus souvent tournée vers des études de théologie ou de médecine. Lorsque intervient la Révolution, une réforme de l'enseignement est mise en place qui voit la création des écoles centrales sur la base des anciens collèges supprimés. Les changements introduits témoignent d'une volonté de rompre avec les méthodes anciennes. 

1. La place de la physique dans les établissements scolaires au XIXe siècle

Une discipline philosophique dans les collèges de l’Ancien Régime

Dans les collèges de l'Ancien régime — sortes d’internats pour élèves boursiers  — les cours de physique relèvent d'un enseignement de philosophie qui dure deux ans et comprend logique, éthique, métaphysique, physique[i]. L’enseignement est donné en latin. Il doit principalement préparer à l’entrée de la faculté de théologie ou parfois de médecine (celle de droit n’étant pas concernée  par la physique). Pas de manuels de physique, la leçon (de 2h) est magistrale : dictée, développement, questions, ce canevas existe jusqu’à la moitié du XVIIe siècle. Le professeur dicte un texte préparé à l'avance que les étudiants prennent en note puis, il développe un thème ou une question particulière. Par une série de questions et réponses, le professeur s'assure qu'ils ont compris : ce cours est de type argumentatif sans rapport avec le phénomène expérimental. Plus tard, le cours devient totalement dicté, et peu à peu donné en français sous la forme d’une question scolastique : présentation des théories des philosophes sur chacun des sujets, discussion puis réfutation ou acceptation suivant les cas. Cette présentation de la physique est couramment appelée physique des systèmes. Cette méthode se retrouve en physique dans l'étude du système du monde, à propos du conflit « héliocentrisme - géocentrisme ».
Ce n’est que vers 1720 que l’on trouve ici ou là, mentionnées en marge des cahiers, de rares expériences faites en fin de cours. Le cas du collège d'Harcourt constitue, au début du XVIIIe siècle, un exemple de structure ordinaire en trois parties qui s’inspire — comme généralement à cette époque — de la trame aristotélicienne : une physique générale (des corps, de la matière  et du mouvement), la physique particulière (l'hydrostatique, de l'optique), puis les systèmes du monde, mouvements des astres, enfin les quatre éléments naturels.
Réflexion presque métaphysique sur la substance et la matière, un traitement mathématique du mouvement et de ses lois, et l'étude du vivant : cette physique est bien une "philosophie naturelle" qui mêle sciences, mathématiques et philosophie. C’est une « physique des systèmes », ou physique philosophique.
Le cartésianisme ne s'impose vraiment qu'à la fin du XVIIe siècle chez les oratoriens, et, avec de grandes réticences au XVIIIe siècle chez les jésuites : durant la première moitié du siècle, les jésuites font du système cartésien leur fer de lance contre le newtonisme, refusant l'expérimentation systématique lié à la physique de Newton ainsi que la formalisation
Le XVIIIe siècle voit ainsi s'affronter les tenants de l'ancien système et ceux de la nouvelle physique.

Nos travaux nous conduisent à considérer que la physique enseignée, en tant que science exacte, est née dans des collèges séculiers (non soumis à la règle d’une congrégation religieuse) de la fin du XVIIIe siècle comme conséquence de la montée des Lumières.
Issu de l'enseignement philosophique des collèges de l'Ancien régime, l'enseignement de la physique est jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, constitutif de la philosophie naturelle. Il permet à l'étudiant de se préparer à une formation générale secondaire, le plus souvent tournée vers des études de théologie ou de médecine. Les universités disposent alors du monopole de l'enseignement des sciences fondamentales : théologie, droit, médecine et philosophie. À partir de 1500, des collèges (jésuites et oratoriens) dits de plein exercice — sortes d’internats devenus établissement d'enseignement autorisés et bien fréquentés — vont embrasser tout le cycle des études en ouvrant des classes de philosophie, qui préparent obligatoirement aux trois facultés supérieures. Il s’en suit que dans les collèges des congrégations de l’Ancien régime, la physique s’enseigne dans le cursus de philosophie avec ses démarches et ses méthodes.
Le cas de l’enseignement des sciences physiques se situe dans ce contexte : tenant lieu de modèle de savoir scientifique, La Physique d’Aristote (384 - 322 av J.C.) marque l’enseignement de la première philosophie de la nature pendant plusieurs siècles — même après que le modèle de Copernic a changé la vision du monde. On enseigne une physique dite « physique des systèmes » (sous-entendu, celle des systèmes philosophiques successifs : après la conception aristotélicienne, vient la physique cartésienne). L’avènement de la physique newtonienne fin XVIIIe siècle n’intervient que dans certains grands collèges séculiers (Paris et rares villes de province) et installera un tournant important dans la présentation de la physique.
C’est avec La physique devient d’une part une « physique expérimentale » où l’expérience est mise en avant et constitue le pivot de ce que l’on nommera « la démonstration de physique » : faire comprendre les phénomènes naturels c’est montrer des expériences, c’est démontrer par l’expérience (on dirait aujourd’hui, par une manipulation). La vogue de cette « physique expérimentale » ne cesse de grandir, pour laquelle se passionne un public de plus en plus nombreux. Et avec elle, les instruments scientifiques qui permettent d'expliquer et de vulgariser la science, d'où le nom de cabinet de physique dont l’un des plus célèbres est celui de l'abbé Nollet : Nollet installe son célèbre cabinet de physique au retour d'un voyage à Londres en 1734, où il fait la connaissance de Desaguliers (1683 - 1744) un anglais qui vulgarise les idées newtoniennes, à l'origine de la nouvelle physique. Dans son cabinet de physique, Nollet lance la promotion de la physique expérimentale : il y donne pendant neuf ans, un cours qui rencontre un grand succès[2].
D’autre part, une conception plus mathématique de la physique s’impose en même temps dans certains collèges parisiens (séculiers) sous l’influence des idées newtoniennes, avec la mathématisation de la gravitation. Ainsi se met en place une dualité dans l’enseignement de la physique qui, des expériences et des phénomènes exposés ou de leur mathématisation, va ajouter aux difficultés et obstacles d’ordre idéologique qui freineront son développement au cours du XIXe siècle suivant.
Lorsque prend naissance un enseignement de « physique et chimie expérimentales » comme science moderne en 1795 dans les écoles centrales de la Révolution française, les autorités prennent alors soin de spécifier qu'il s'agit bien de sciences expérimentales, montrant par là leur volonté de placer l'expérience au cœur de l'enseignement. Si l'expérience est au cœur de l'enseignement, la méthode n'en demeure pas moins toujours magistrale. Quelques cours manuscrits (conservés aux Archives nationales) montrent une forme discursive et traditionnelle des cours : énoncé de la propriété puis seulement à la fin, expérience de validation. Seule la mécanique — quantité de mouvement et chute libre des corps — est présentée à l’aide d’équations mathématiques. On distingue alors trois parties dans le cours : la physique générale (propriétés générales de la matière, mécanique, hydrostatique), la physique particulière (électrostatique appelée alors « électricité »), optique,

Rôles de l’enseignement de la physique

L’étude de la physique comme philosophie de la nature, jusqu’au XVIIe siècle, porte sur les systèmes du monde ; l’enseignement s’inscrit dans une visée militante d'adhésion au dogme chrétien essentiellement pour les études de théologie (les études de médecine encore très minoritaires devant les études de droit). En somme, il faut savoir décrire le monde pour mieux persuader de l’existence divine.
La reconnaissance officielle comme discipline scolaire, prend effet dans les écoles centrales, où, pour la première fois, la physique est associée à la chimie, constituant ensemble une discipline nouvelle : les sciences physiques. Nous montrerons dans le deuxième chapitre que cette naissance de la discipline est autant liée à l'exigence de promotion des sciences par les instances révolutionnaires, qu'à la naissance de la nouvelle chimie, elle même liée aux manipulations. Pour la première fois les cabinets de physique et les laboratoires de chimie sont officiellement installés dans les établissements secondaires. On peut donc considérer l'expérience des écoles centrales comme une première naissance de la discipline.
La situation de la physique dans les lycées qui sont installés sous le Consulat fait encore une place aux sciences physiques. La création des chaires institutionnalise la discipline. Mais, ensuite, on constate par une étude des masses horaires de la physique dans les lycées, une position marginale de celle‑ci tout au long du siècle. D'où notre interrogation dans le troisième chapitre, sur les raisons de cet état de fait, qui nous amènera à conclure que l'enseignement de la physique aux enfants de la bourgeoisie n'est qu'une parure intellectuelle, et que la formation d'ingénieur (de production) est alors une question qui ne se pose pas, les élites scientifiques étant ‑ en nombre restreint mais suffisant - formées dans la filière scientifique spéciale des lycées. L'étude de l'organisation instable de l'enseignement des sciences confirmera cette conclusion dans le quatrième chapitre, en montrant qu'aucune situation d'importance n'est accordée à la physique. Nous soulignerons en même temps, le rôle de certaines personnalités dans l'évolution de l'enseignement des sciences.
Nous consacrerons le cinquième chapitre à la professionnalisation de la discipline en montrant qu'elle est surtout effective à partir du Second Empire et qu'elle paraît jouer un rôle important dans le maintien des sciences physiques au lycée. On retiendra aussi que cette période, marquée par l'influence saint‑simonienne, aura non seulement organisé la profession, mais aussi tenté la deuxième expérience, après les écoles centrales, de la promotion des sciences dans l'enseignement secondaire. Les premières instructions officielles qui en sortent marquent l'enseignement de la physique pour tout le demi‑siècle. Nous en verrons, avec les sixième et septième chapitres, les traits généraux : encyclopédisme, dogmatisme, approche historique et phénoménologique qui imprégneront pendant longtemps la physique de l'enseignement secondaire.
Les chapitres, 7, 8, et 9 montreront comment, d'une discipline dogmatique et descriptive, on est passé à une discipline dont la démarche d'étude rompt avec la déductivité au profit de celle, inductive, d'une démarche expérimentale aux outils expérimentaux et mathématiques. Ce cheminement s'accomplira progressivement, d'abord par la naissance à la fin du Second Empire, d'un enseignement secondaire spécial, enseignement pratique et court, qui répond à une demande sociale spécifique tout en étant implanté dans les lycées et les collèges. Peu à peu, à la faveur d'une ambition sociale et d'un contexte politique reposant sur davantage de démocratie, cet enseignement devient un enseignement secondaire à part entière, doté de son baccalauréat malgré l'absence de langues anciennes : c'est l'enseignement moderne. Véritable choc culturel, mais aussi réponse à l'industrialisation et à la montées de nouvelles couches, cet enseignement cohabite difficilement avec l'enseignement classique, d'où son malaise. Aussi, en 1902, intervient un plan de réforme qui, en unifiant l'enseignement secondaire, réforme les enseignements scientifiques, essentiellement sur la question des méthodes et la répartition progressive des contenus. Pour la physique, cette réforme marque une étape importante en lui donnant les traits principaux que l'on retrouve encore aujourd'hui : démarche inductive, outils mathématiques, mais surtout, des exercices pratiques, ancêtres de nos travaux pratiques. Aussi faut‑il voir dans cette réforme, la deuxième naissance de la discipline.





















Jusqu'au XVIe siècle, les universités disposent du monopole de l'enseignement des sciences fondamentales : théologie, droit, médecine et philosophie. La philosophie — sorte de propédeutique aux trois autres sciences — est obligatoire pour tous les étudiants. À partir de 1500, elle s’enseigne peu à peu dans les collèges — jusque-là, des sortes d’internats pour boursiers et pensionnaires pauvres qui parfois fréquentent aussi la faculté des Arts, d’où leur nom d’artiste ou d’artiens. La philosophie devient ainsi, à l’initiative des congrégations religieuses (jésuites et oratoriens créent les premiers collèges d’enseignement), une sorte de préparation à l’entrée aux Facultés supérieures. Les plus fréquentés de ces collèges deviennent les seuls autorisés à cette préparation. La classe de philosophie devient emblématique de l’accès à l’enseignement des facultés de droit, médecine et théologie.

Une philosophie de la nature
Le cas de l’enseignement des sciences physiques se situe dans ce contexte : tenant lieu de modèle de savoir scientifique, La Physique d’Aristote (384 - 322 av J.C.) constitue pendant plusieurs siècles la première philosophie de la nature. La physique d’Aristote relève d’un système philosophique enseigné dans les collèges, dès leur création : son objet est la recherche des causes des phénomènes. Les mathématiques n’y ont donc aucune place, sauf en ce qui concerne les formes géométriques, les grandeurs (que nous dirions « physiques ») ou les mouvements célestes — par essence parfaits donc mathématisables. La théorie des qualités — qui explique par exemple, qu’il est dans la nature du solide d’être dur et par conséquent de tomber — se dispense d’explication par les mathématiques.
Jusqu’au XVIe voire XVIIe siècle, l’enseignement de la physique consiste en une « Physique des systèmes », c’est-à-dire, une approche philosophique du monde telle que la conçoivent successivement Aristote puis Descartes, les deux référence de l’époque en matière d’enseignement de la philosophie. Cette présentation perdure même après que le modèle de Copernic se soit scientifiquement imposé. Des nouveautés scientifiques sont introduites, telles la chute des corps, la quantité de mouvement, l’optique, toutes déjà présentées mathématiquement selon les conceptions de Galilée. L’expérimentation promue par Torricelli, Pascal, Boyle — pour ne citer que les plus illustres — ne fait pas encore partie du cursus scientifique.
Ce n’est qu’avec le triomphe de la physique newtonienne et de ses répercussions en Europe, que la présentation de la physique connaît un tournant important. Nous la devons à un vulgarisateur de talent, l’Abbé Nollet, lequel au milieu du XVIIIe siècle, constitue un acteur essentiel dans la diffusion de cette physique. Avec ses cours de physique expérimentale à l’époque des Lumières dans les salons fréquentés par savants, musiciens, philosophes, lettrés, nobles — en particulier les femmes — il invente des instruments scientifiques qu’il fait construire. Pour la première fois la place et le rôle de l’expérience, mais aussi la mathématisation des phénomènes, sont introduits pour la compréhension en cours.
Ainsi apparaît d’une part, une physique dite « physique expérimentale » enseignée à l’aide d’instruments de démonstration, d’autre part, une conception mathématique de la physique — défendue par les seuls professeurs des collèges séculiers de Paris. Une dualité se met en place : De philosophie de la nature, la physique enseignée devient à la fois une physique des expériences, et une mathématisation des phénomènes exposés. Difficultés et obstacles idéologiques vont freiner son développement.


Notre travail  s'organise autour de quatre parties qui lui donnent sens : dans la première nous étudions la naissance de la physique comme science objective caractérisée pour la première fois par l'expérience, et dont la mise en œuvre institutionnelle aura assuré la naissance des sciences physiques comme discipline scolaire. La deuxième partie suit la lente institution de cette discipline au cours du XIXe siècle tout en proposant un modèle explicatif de sa position toujours mineure dans les plans d'études de l'enseignement secondaire. Les caractères de la physique enseignée nous renseignent dans la troisième partie, sur la cohérence établie entre société et type d'enseignement. Enfin, la dernière partie montre comment la réforme du système éducatif en s'adaptant aux demandes sociales et économiques, modifie la physique enseignée, et instaure une physique du spécialiste plutôt que celle de l'érudit. 

À l’issue du premier chapitre, nous pensons que la physique en tant que science exacte et non philosophique est née dans des collèges séculiers de la fin du XVIIIe siècle. Nous y voyons une conséquence de la montée des Lumières. En effet, dans les collèges d'Ancien régime, la physique, partie de la philosophie, en adoptait les démarches et les méthodes. Son étude inscrite dans la philosophie de la nature devait nourrir la réflexion philosophique. La connaissance portait surtout sur les systèmes du monde dans une visée militante d'adhésion au dogme chrétien. L'arrivée des théories newtoniennes en France et leur diffusion, même lente, donne à cette discipline un aspect expérimental qui lui restera toujours attaché. En même temps que lui, l'aspect mathématique se développe, dont l'excès aujourd'hui est connu. On peut donc considérer la séparation d'avec la philosophie comme une première émergence de la physique comme science, et non plus comme une philosophie de la nature.
Sa reconnaissance officielle comme discipline scolaire prend effet dans les écoles centrales, où, pour la première fois, la physique est associée à la chimie, constituant ensemble une discipline nouvelle : les sciences physiques. Nous montrerons dans le deuxième chapitre que cette naissance de la discipline est autant liée à l'exigence de promotion des sciences par les instances révolutionnaires, qu'à la naissance de la nouvelle chimie, elle-même liée aux manipulations. Pour la première fois les cabinets de physique et les laboratoires de chimie sont officiellement installés dans les établissements secondaires. On peut donc considérer l'expérience des écoles centrales comme une première naissance de la discipline.

Dans le troisième chapitre, sur les raisons de cet état de fait, qui nous conduirons à conclure que l'enseignement de la physique aux enfants de la bourgeoisie n'est qu'une parure intellectuelle,

La professionnalisation de la discipline en montrant qu'elle est surtout effective à partir du Second Empire et qu'elle paraît jouer un rôle important dans le maintien des sciences physiques au lycée. On retiendra aussi que cette période, marquée par l'influence saint‑simonienne, aura non seulement organisé la profession, mais aussi tenté la deuxième expérience, après les écoles centrales, de la promotion des sciences dans l'enseignement secondaire. Les premières instructions officielles qui en sortent marquent l'enseignement de la physique pour tout le demi‑siècle. Nous en verrons, avec les sixième et septième chapitres, les traits généraux : encyclopédisme, dogmatisme, approche historique et phénoménologique qui imprégneront pendant longtemps la physique de l'enseignement secondaire.
 
Peu à peu, à la faveur d'une ambition sociale et d'un contexte politique reposant sur davantage de démocratie, cet enseignement devient un enseignement secondaire à part entière, doté de son baccalauréat malgré l'absence de langues anciennes : c'est l'enseignement moderne. Véritable choc culturel, mais aussi réponse à l'industrialisation et à la montée de nouvelles couches, cet enseignement cohabite difficilement avec l'enseignement classique, d'où son malaise


Aussi, en 1902, intervient un plan de réforme qui, en unifiant l'enseignement secondaire, réforme les enseignements scientifiques, essentiellement sur la question des méthodes et la répartition progressive des contenus. Pour la physique, cette réforme marque une étape importante en lui donnant les traits principaux que l'on retrouve encore aujourd'hui : démarche inductive, outils mathématiques, mais surtout, des exercices pratiques, ancêtres de nos travaux pratiques. Aussi faut‑il voir dans cette réforme, la deuxième naissance de la discipline.





[1] La physique figure dans certains programmes des concours d'admission aux écoles du gouvernement : celui de l’École normale pour la section sciences et de l’École polytechnique à partir de 1846. L’École centrale exige aussi des connaissances en physique pour l'admission.
[2] La chimie n’existe pas encore séparée de la physique : il revient à la Révolution française et au groupe d’Arcueil — Lavoisier et ses épigones — de fonder la chimie telle que nous la connaissons, comme science autonome rejetant le phlogistique, et l’alchimie au profit d’une vision rationnelle de son enseignement.



NOTES



[i] La physique fait alors partie de la philosophie naturelle, laquelle est incluse dans la philosophie et traite de la nature. La logique apprend à bien raisonner, l'éthique incite à un comportement juste, aussi ces deux enseignements démarrent-ils les études de philosophie.

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